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Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/321

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de faire effort deux fois pour se débarrasser de lui, au milieu du drame par la hache ou le poignard, et au dénoûment par le poison.

La même indication se retrouve dans le Roi Lear ; le fils du comte de Glocester se réfugie, lui aussi, dans la démence apparente ; il y a là une clé pour ouvrir et comprendre la pensée de Shakespeare. Aux yeux de la philosophie de l’art, la folie feinte d’Edgar éclaire la folie feinte de Hamlet.

L’Amleth de Belleforest est un magicien, le Hamlet de Shakespeare est un philosophe. Nous parlions tout à l’heure de la réalité singulière propre aux créations des poètes. Pas de plus frappant exemple que ce type, Hamlet. Hamlet n’a rien d’une abstraction. Il a été à l’Université ; il a la sauvagerie danoise édulcorée de politesse italienne ; il est petit, gras, un peu lymphatique ; il tire bien l’épée, mais s’essouffle aisément. Il ne veut pas boire trop tôt pendant l’assaut d’armes avec Laërtes, probablement de crainte de se mettre en sueur. Après avoir ainsi pourvu de vie réelle son personnage, le poëte peut le lancer en plein idéal. Il y a du lest.

D’autres œuvres de l’esprit humain égalent Hamlet, aucune ne le surpasse. Toute la majesté du lugubre est dans Hamlet. Une ouverture de tombe d’où sort un drame, ceci est colossal.