Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/322

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Hamlet est, à notre sens, l’œuvre capitale de Shakespeare.

Nulle figure, parmi celles que les poètes ont créées, n’est plus poignante et plus inquiétante. Le doute conseillé par un fantôme, voilà Hamlet. Hamlet a vu son père mort et lui a parlé ; est-il convaincu ? non, il hoche la tête. Que fera-t-il ? il n’en sait rien. Ses mains se crispent, puis retombent. Au dedans de lui les conjectures, les systèmes, les apparences monstrueuses, les souvenirs sanglants, la vénération du spectre, la haine, l’attendrissement, l’anxiété d’agir et de ne pas agir, son père, sa mère, ses devoirs en sens contraire, profond orage. L’hésitation livide est dans son esprit. Shakespeare, prodigieux poëte plastique, fait presque visible la pâleur grandiose de cette âme. Comme la grande larve d’Albert Durer, Hamlet pourrait se nommer Melancholia. Il a, lui aussi, au-dessus de sa tête, la chauve-souris qui vole éventrée, et à ses pieds la science, la sphère, le compas, le sablier, l’amour, et derrière lui à l’horizon un énorme soleil terrible qui semble rendre le ciel plus noir.

Cependant toute une moitié de Hamlet est colère, emportement, outrage, ouragan, sarcasme à Ophelia, malédiction à sa mère, insulte à lui-même. Il cause avec les gens du cimetière, rit presque, puis empoigne Laërtes aux cheveux