Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/367

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faut des lecteurs athlètes. Il faut être robuste pour ouvrir Jérémie, Ézéchiel, Job, Pindare, Lucrèce, et cet Alighieri, et ce Shakespeare. La bourgeoisie des habitudes, la vie terre à terre, le calme plat des consciences, le "bon goût" et le "bon sens", tout le petit égoïsme tranquille est dérangé, avouons-le, par ces monstres du sublime.

Pourtant, quand on s’y enfonce et quand on les lit, rien n’est plus hospitalier pour l’âme à de certaines heures que ces esprits sévères. Ils ont tout à coup une haute douceur, aussi imprévue que le reste. Ils vous disent : entrez. Ils vous reçoivent chez eux avec une fraternité d’archanges. Ils sont affectueux, tristes, mélancoliques, consolants. Vous êtes subitement à votre aise. Vous vous sentez aimé par eux ; c’est à s’en croire connu personnellement. Leur fermeté et leur fierté recouvrent une sympathie profonde ; si le granit avait un cœur, quelle bonté il aurait ! Eh bien, le génie est du granit bon. L’extrême puissance a le grand amour. Ils se mettent comme vous en prière. Ils savent bien, eux, que Dieu existe. Collez votre oreille à ces colosses, vous les entendrez palpiter. Avez-vous besoin de croire, d’aimer, de pleurer, de vous frapper la poitrine, de tomber à genoux, de lever vos mains au ciel avec confiance et sérénité,