Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux rêveries de chacun. Souvent, tout en écoutant, tout en murmurant, tout en songeant, le représentant prenait avec distraction la plume placée à côté de lui et traçait machinalement sur cette page de bois le mot, l’idée, les figures quelconques qui lui traversaient l’esprit. Il n’était pas sans intérêt de parcourir les bancs en s’arrêtant aux places des plus fameux. On ne trouvait là, à coup sûr, aucune révélation sur les pensées secrètes, mais on y recueillait je ne sais quelle lueur confuse sur les habitudes involontaires de l’esprit de chacun.

Sur le pupitre de M. Ledru-Rollin on voyait une tête dessinée et à côté les deux lettres S O qui commençaient peut-être le mot socialisme. Ce nom, Michel, était écrit dans un coin. Le reste du pupitre était couvert d’arabesques fantasques.

Le pupitre de M. de La Mennais, placé tout près sur le même banc, offrait ces deux dates mystérieuses : 21 Xbre, 29 Xbre ; au-dessous était écrit ce mot : aime.

Rien, à coup sûr, ne se ressemblait moins que La Mennais et Lamartine, l’un le prêtre vide d’espérance, l’autre le poëte plein d’illusions. Cependant on eût pu croire que la même pensée était au fond de ces deux esprits. Sur le pupitre de Lamartine on lisait : amor. Ce mot n’effraya pas Crémieux qui, en 1849, prit à l’extrémité du second banc inférieur de gauche la place de Lamartine non réélu. Il remplaça le nom de Lamartine par une carte portant cette inscription :


CRÉMIEUX
en l’absence
de
LAMARTINE.


Rien à la place du général Cavaignac, si ce n’est une sorte de potence dessinée au-dessus de son nom.

Rien sur le pupitre de M. Dufaure, si ce n’est une espèce de dessin figurant vaguement un collier de cheval de charrette.

Un représentant obscur, M. Rouher, avait écrit sur la carte qui portait son nom la date 1789 ; un autre, M. Monnet, avait tracé en majuscules le mot victoire. Tout à côté son voisin avait ajouté : dodo.

Lagrange s’asseyait au fond de la salle à gauche au second banc de la Montagne. Des deux côtés de son nom, on lisait en grosses lettres figurées à l’encre sur le bois :


LYON RHÔNE.


Sur la tablette on distinguait vaguement les caractères informes d’une