Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/615

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et je vais à Saintes, puis à la Rochelle, où je compte trouver de bonnes lettres de toi et de vous tous, mes bien-aimés. Je n’écris qu’à toi aujourd’hui, car j’ai les yeux brûlés par la route blanche de poussière et de soleil ; et puis, je sais que ce qui est à toi est à tous, tu es la mère. Cette lettre est donc pour tous parce qu’elle est pour toi.

J’ai reçu à Luz une bonne petite lettre de ma Didine chérie. Cette lettre était, comme toujours, pleine de tendresse et de bonheur. Et puis, j’en ai eu aussi une de mon pauvre Charlot. Cette fin d’année n’a pas répondu à nos espérances et à son travail ; il faut qu’il s’arme d’un nouveau courage pour l’année prochaine. Les gens de cœur peuvent s’éclipser, mais non s’éteindre ! Il faut donc reparaître, entends-tu, mon Charlot bien-aimé. En attendant, amuse-toi. Et toi aussi, mon Toto chéri, et toi aussi, mon petit ange de Dédé. La saison du travail approche ; mettez à profit la saison de la joie.

Dans peu, je serai des vôtres. Encore douze ou quinze jours, et je vous embrasserai tous, et nous serons réunis. Je vous raconterai toutes mes aventures. Vous me direz, comme quand vous étiez tous les quatre ensemble sur mes genoux, toutes vos pensées, toutes vos joies, tous vos désirs. Mon Toto me fera cent questions et je lui ferai deux cents réponses. Porte-toi bien, mon Toto.

Chère amie, ma prochaine arrivée va rendre mes lettres un peu plus rares ; ne t’en étonne pas. Vous écrire n’est que l’ombre d’une douce chose ; ce que je veux, c’est vous embrasser et vous avoir.

À bientôt donc, mes bien-aimés.


À Madame Victor Hugo[1]


10 septembre [1843].

Chère amie, ma femme bien-aimée, pauvre mère éprouvée, que te dire ? Je viens de lire un journal par hasard. Ô mon Dieu ! que vous ai-je fait ! J’ai le cœur brisé... Je n’irai pas jusqu’à La Rochelle... Il me tarde de pleurer avec toi et avec mes trois pauvres enfants bien-aimés… Mon Adèle chérie, que ces affreux coups du moins resserrent et rapprochent nos cœurs qui s’aiment...[2]

  1. Première lettre écrite par Victor Hugo en apprenant la mort de sa fille Léopoldine, noyée avec son mari, à Villequier. Rappelons cette catastrophe : sous un coup de vent, la barque où ils étaient avec leur oncle et leur jeune cousin chavira et coula ; Léopoldine s’y cramponna. Six fois Charles Vacquerie, bon nageur, remonta à la surface pour appeler ; voyant que personne ne venait à leur secours, il plongea une dernière fois et, désespérant de faire lâcher prise à sa femme, ne pouvant la sauver, il voulut mourir avec elle. On rapporta à Villequier quatre cadavres ; le frère de madame Vacquerie et un jeune neveu accompagnaient Charles Vacquerie et sa femme.
  2. Maison de Victor Hugo.