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en dessinant, en écrivant des lettres, en couvrant ses feuilles d’album ou de carnet de réflexions plus ou moins philosophiques sur les laideurs de ces bouges, seuls refuges offerts au voyageur désireux de contempler les beautés de la nature.

On se demandera si Victor Hugo aurait publié ces notes dans leur déshabillé ou si au contraire il leur aurait fait un bout de toilette. Or, voyez le Rhin : c’était un livre grave, un livre d’histoire et de politique, et cependant Victor Hugo ne voulut pas en effacer l’intimité et le sourire ; à plus forte raison, plus tard, pour ses autres voyages n’aurait-il pas hésité, pour répondre au goût nouveau du public, à donner, dans toute sa simplicité, ce qu’il a appelé « le journal d’une pensée ».

Qu’est-il ce journal ? « C’est l’épanchement quotidien, c’est le temps qu’il fait aujourd’hui, la manière dont le soleil s’est couché hier, la belle soirée ou le matin pluvieux, c’est la voiture où le voyageur est monté, chaise de poste ou carriole… ce sont tous les bruits qui passent recueillis par l’oreille et commentés par la rêverie… » Victor Hugo développe ces considérations dans la préface du Rhin. Mais il n’avait pas alors toute la liberté pour réaliser entièrement ce programme. Il en exprimait quelque regret. En revanche, il se serait senti plus à l’aise dans ses autres volumes de voyage ; et assurément, lui vivant, il leur aurait conservé ce caractère d’intimité, de libre allure et de bonne humeur. Oh ! sans doute sa fantaisie aurait enjolivé quelques récits trop sommaires et son inspiration poétique aurait éclairé quelques paysages, selon le vers cité à la description du manuscrit :

Quel est le voyageur qui n’orne pas un peu ?

mais il aurait maintenu tous les détails familiers, tout ce qui donne à ces voyages plus de mouvement, de vie et d’imprévu ; car ce qui constitue l’originalité de cette œuvre, c’est qu’elle a été écrite dans des auberges, sur les coins de tables, entre deux étapes, au courant de la plume et surtout sans arrière-pensée de publication, au moins sous cette forme. C’est bien là le carnet du voyageur qui rapporte, avec une faculté étonnante d’improvisation, tout ce qu’il a vu, tout ce qu’il a entendu ; c’est aussi le poète qui, grâce à l’acuité de sa vision, découvre dans la nature des beautés insoupçonnées, qui, grâce à la richesse de ses souvenirs historiques, anime les pierres des châteaux et des cathédrales, et, avec son sens critique, nous fait mieux comprendre et admirer toutes les merveilles et tous les trésors de l’art.


II
REVUE DE LA CRITIQUE.



La critique salua dans Victor Hugo un cicérone incomparable, un reporter prodigieux, un Bædeker de génie. C’est qu’en effet, tout en décrivant les pays les plus connus et les plus fréquentés, il avait découvert des nouveautés qui avaient échappé à la perspicacité des guides patentés ; et on louait dans ce touriste improvisé la puissance de vision, la verve charmante, la richesse de la fantaisie, la fraîcheur du coloris, la bonhommie et la belle humeur, la faculté d’évoquer en images saisissantes les temps disparus, le mélange de philosophie profonde et de verve comique, la peinture éblouissante d’un site succédant à quelque