Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/57

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On vida le sac et la giberne du soldat. On se partagea les cartouches. Il y en avait cent cinquante. Il y avait aussi deux pièces d’or de dix francs, paie des deux journées depuis le 2 décembre. On les jeta sur le pavé. Personne n’en voulut.

On se distribua les cartouches aux cris de : Vive la République !

Cependant les assaillants avaient mis en batterie un obusier à côté du canon.

La distribution des cartouches était à peine finie que l’infanterie parut et se rua sur la barricade à la bayonnette. Ce deuxième assaut, comme on l’avait prévu, fut âpre et rude. On le repoussa. Deux fois l’infanterie revint à la charge, deux fois elle recula, laissant la rue jonchée de morts. Dans l’intervalle des assauts, un obus avait troué et démantelé la barricade, et le canon tirait à mitraille.

La situation était désespérée ; les cartouches étaient épuisées. Quelques-uns commencèrent à jeter leurs fusils et à s’en aller. Pour s’échapper, il n’y avait que la rue Saint-Sauveur, et, pour atteindre le coin de la rue Saint-Sauveur, il fallait franchir la partie basse de la barricade qui laissait presque tout l’homme à découvert. Les biscayens et les balles pleuvaient là. Trois ou quatre y furent tués, dont un, comme Baudin, d’une balle dans l’œil. Le chef de la barricade s’aperçut tout à coup qu’il était seul avec Pierre Tissié et un enfant de quatorze ans, le même qui avait tant roulé de pavés. Une troisième attaque s’annonçait, et les soldats commençaient à s’avancer le long des maisons.

— Allons-nous-en, dit le chef de la barricade.

— Je reste, dit Pierre Tissié.

— Et moi aussi, dit l’enfant.

Et l’enfant ajouta :

— Je n’ai ni père ni mère. Autant ça qu’autre chose.

Le chef lâcha son dernier coup de fusil, et se retira comme les autres par la partie basse de la barricade. Une décharge fit tomber son chapeau. Il se baissa et le ramassa. Les soldats n’étaient plus qu’à vingt-cinq pas. Il cria aux deux qui restaient : – Venez !

— Non, dit Pierre Tissié.

— Non, dit l’enfant.

Quelques instants après, les soldats escaladaient la barricade, déjà à demi écroulée.

Pierre Tissié et l’enfant furent tués à coups de bayonnette.

On abandonna dans cette barricade une vingtaine de fusils.