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À RAMON, DUC DE BENAV.


« Esclaves d’une loi fatale,
Sachons taire les maux soufferts.
Pourquoi veux-tu donc que j’étale
La meurtrissure de mes fers ?
Aux yeux que la misère effraie
Qu’importe ma secrète plaie ?
Passez, je dois vivre isolé ;
Vos voix ne sont qu’un bruit sonore ;
Passez tous ! j’aime mieux encore
Souffrir, que d’être consolé !

« Je n’appartiens plus à la vie.
Qu’importe si parfois mes yeux,
Soit qu’on me plaigne ou qu’on m’envie,
Lancent un feu sombre ou joyeux ?
Qu’importe, quand la coupe est vide,
Que ses bords, sur la lèvre avide,
Laissent encore un goût amer ?
A-t-il vaincu le flot qui gronde,
Le vaisseau qui, perdu sous l’onde,
Lève encore son mât sur la mer ?

« Qu’importe mon deuil solitaire ?
D’autres coulent des jours meilleurs.
Qu’est-ce que le bruit de la terre ?
Un concert de ris et de pleurs.
Je veux, comme tous les fils d’Ève,
Sans qu’une autre main le soulève,
Porter mon fardeau jusqu’au soir ;
À la foule qui passe et tombe,
Qu’importe au seuil de quelle tombe
Mon ombre un jour ira s’asseoir ? »

Ainsi, quand tout bas tu soupires,
De ton cœur partent des sanglots,
Comme un son s’échappe des lyres,