Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/572

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
554
RELIQUAT DE L’HOMME QUI RIT

Autre début de la troisième division précédée d’un sommaire :

Abaissement de hommes — Le coq du roi d’Angleterre.
Les seigneurs russes gloussant ou miaulant.

La souveraineté, tant qu’elle est limitée à l’homme sur lui-même, se nomme liberté. Dès qu’elle déborde sur autrui elle est usurpation et despotisme, et voilà où elle mène. Les empereurs allemands et russes, héritiers des formules de l’empire romain se qualifiaient Divinitas sostra, Eternitas nostra. On ne dit pas cela impunément.

.........................

Les rois à prix réduit qu’on a maintenant coûtent encore fort cher. Le roi décroît, soit, mais le bourgeois augmente. L’infatuation, qui est le bourgeois tout entier, c’est le despotisme rapetissé. Il y a dans nos mœurs du tyran répandu. C’est délayé, mais c’est odieux. Un certain mauvais fond humain est presque irréductible. Grattez le présent, vous trouvez le passé. Grattez le dix-neuvième siècle, vous trouverez lel’antiquité moyen âge. Qu’est-ce que le groom, qu’on veut nain ? Qu’est-ce que le jockey, qu’on veut maigre ? Qu’est-ce que Brunet, forcé de jouer le soir où il a perdu sa mère, étouffant de sanglots pendant que vous étouffez de rire ? La barbarie est, témoin la guerre. La férocité règne, témoin l’échafaud. L’ignorance gouverne, témoin l’Université. Les bûchers ont disparu ; oui, sous la forme auto-da-fé, non sous la forme suttie. Le suttie persiste, quoi que fasse l’Angleterre. La vente des femmes a encore lieu à l’heure où nous sommes ; traite des noires en Amérique, traite des blanches en Europe. La Turquie est au seizième siècle, la Perse au quatorzième, le Japon au douzième. Cette vieille plaie, la théocratieféodalité, saigne encore partout sur la terre. Tel prince, vivant et régnant, a pris son âme dans Machiavel.


Page 31. [L’Angleterre a longtemps eu le même souci des gypsies, dont elle voulait se débarrasser, que des loups, dont elle s’était nettoyée.]

Il n’est pas bon, en effet, qu’il y ait sous le ciel des créatures humaines rôdant sans asile. Il faut un toit à l’homme ; le ciel est pour lui une mauvaise couverture, les suggestions de la belle étoile sont redoutables. Les égoïstes ont tort d’oublier, de jouir et de rire. Le mal d’autrui est notre mal ; on ne songe pas assez à cela, les sociétés, ne fût-ce que pour leur tranquillité et pour leur intérêt, devraient se préoccuper profondément de ceux qui n’ont pas de pain et de ceux qui n’ont pas de souliers. La mise au pied du mur d’un misérable est un danger. Pour qui ? pour le mur, qu’il escaladera. Ce mur, c’est la société. Réduire un homme aux expédients, c’est le réduire à on ne sait quelle attaque. L’expédient qu’il trouve est pris dans votre repos. Les va-nu-pieds marchent sur la loi ; les meurt-de-faim mangent la paix publique. Ce mal qu’on guérirait par la fraternité, l’Angleterre le traitait par la sévérité.