Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/88

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rieure des traces évidentes de dévastation et d’incendie. Elle a été probablement brûlée lors de la grande irruption des normands, en 882, je crois. Les architectes romans ont naïvement raccommodé et continué la tour en briques, la prenant telle que l’incendie l’avait faite et asseyant le nouveau mur sur la vieille pierre rongée, de sorte que le profil découpé de la ruine se dessine parfaitement conservé sur le clocher tel qu’il est aujourd’hui. Cette grande pièce rouge qui enveloppe le clocher, frangée par le bas comme un haillon, est d’un effet singulier.

Comme j’allais de Saint-Denis à Saint-Hubert par un labyrinthe d’anciennes rues basses et étroites, ornées çà et là de madones au-dessus desquelles s’arrondissent comme des cerceaux concentriques de grands rubans de fer-blanc chargés d’inscriptions dévotes, j’ai coudoyé tout à coup une vaste et sombre muraille de pierre percée de larges baies en anse de panier et enrichie de ce luxe de nervures qui annonce l’arrière-façade d’un palais du moyen âge. Une porte obscure s’est présentée, j’y suis entré, et, au bout de quelques pas, j’étais dans une vaste cour. Cette cour, dont personne ne parle et qui devrait être célèbre, est la cour intérieure du palais des princes ecclésiastiques de Liège. Je n’ai vu nulle part un ensemble architectural plus étrange, plus morose et plus superbe. Quatre hautes façades de granit surmontées de quatre prodigieux toits d’ardoise, portées par quatre galeries basses d’arcades-ogives qui semblent s’affaisser et s’élargir sous le poids, enferment de tous côtés le regard. Deux de ces façades, parfaitement entières, offrent le bel ajustement d’ogives et de cintres surbaissés qui caractérisent la fin du quinzième siècle et le commencement du seizième. Les fenêtres de ce palais clérical ont des meneaux comme des fenêtres d’église. Malheureusement les deux autres façades, détruites par le grand incendie de 1734, ont été rebâties dans le chétif style de cette époque et gâtent un peu l’effet général. Cependant leur sécheresse n’a rien qui contrarie absolument, l’austérité du vieux palais. L’évêque qui régnait il y a cent cinq ans se refusa sagement aux rocailles et aux chicorées, et on lui fit deux façades mornes et pauvres ; car telle est la loi de cette architecture du