Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dix-huitième siècle, il n’y a pas de milieu : des oripeaux ou de la nudité ; clinquant ou misère.

La quadruple galerie qui enferme la cour est admirablement conservée. J’en ai fait le tour. Rien de plus curieux à étudier que les piliers sur lesquels s’appuient les retombées de ces larges ogives surbaissées. Ces piliers sont en granit gris comme tout le palais. — Selon qu’on examine l’une ou l’autre des quatre rangées, le fût du pilier disparaît jusqu’à moitié de sa longueur, tantôt par le haut, tantôt par le bas, sous un renflement enrichi d’arabesques. Pour toute une rangée de piliers, la rangée occidentale, le renflement est double et le fût disparaît entièrement. Il n’y a là qu’un caprice flamand du seizième siècle. Mais ce qui rend l’archéologue perplexe, c’est que les arabesques ciselées sur ces renflements, c’est que les chapiteaux de ces piliers, naïvement et grossièrement sculptés, chargés, aux tailloirs près, de figures chimériques, de feuillages impossibles, d’animaux apocalyptiques, de dragons ailés presque égyptiens et hiéroglyphiques, semblent appartenir à l’art du onzième siècle ; et, pour ne pas rendre ces piliers courts, trapus et gibbeux à l’architecture bizantine, il faut se souvenir que le palais princier-épiscopal de Liège ne fut commencé qu’en 1508 par le prince Érard de la Mark, qui régna trente-deux ans.

Ce grave édifice est aujourd’hui le palais de justice. Des boutiques de libraires et de bimbelotiers se sont installées sous toutes les arcades. Un marché aux légumes se tient dans la cour. On voit les robes noires des praticiens affairés passer au milieu des grands paniers pleins de choux rouges et violets. Des groupes de marchandes flamandes réjouies et hargneuses jasent et se querellent devant chaque pilier ; des plaidoiries irritées sortent de toutes les fenêtres ; et dans cette sombre cour, recueillie et silencieuse autrefois comme un cloître dont elle a la forme, se croise et se mêle perpétuellement aujourd’hui la double et intarissable parole de l’avocat et de la commère, le bavardage et le babil.

Au-dessus des grands toits du palais apparaît une haute et massive tour carrée en briques. Cette tour, qui était jadis le beffroi du prince-évêque, est maintenant la prison