Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

au lion rampant et de l’autre son morion impérial ; fier et terrible tombeau, qui pendant deux cent trente ans a assisté à l’intronisation des empereurs, et dont la tristesse de granit a survécu à toutes ces fêtes de carton peint et de bois doré.

J’ai voulu monter sur le clocher. Le glockner qui m’avait conduit dans l’église et qui ne sait pas un mot de français m’a abandonné aux premières marches de la vis, et je suis monté seul. Arrivé en haut, j’ai trouvé l’escalier obstrué par une barrière à pointes de fer ; j’ai appelé, personne n’a répondu ; sur quoi j’ai pris le parti d’enjamber la barrière. L’obstacle franchi, j’étais sur la plate-forme du Pfarthurm. Là, j’ai eu un charmant spectacle. Sur ma tête un beau soleil ; à mes pieds toute la ville, à ma gauche la place du Rœmer, à ma droite la rue des Juifs posée comme une longue et inflexible arête noire parmi les maisons blanches, çà et là quelques chevets d’antiques églises pas trop défaites, deux ou trois hauts beffrois flanqués de tourelles, sculptés à l’aigle de Francfort et répétés, comme par des échos, au fond de l’horizon, par les trois ou quatre vieilles tours-vigies qui marquaient autrefois les limites du petit état libre ; derrière moi le Mein, nappe d’argent rayée d’or par le sillage des bateaux ; le vieux pont avec les toits de Sachshausen et les murs rougeâtres de l’ancienne maison teutonique ; autour de la ville, une épaisse ceinture d’arbres ; au delà des arbres, une grande table ronde de plaines et de champs labourés, terminée par les croupes bleues du Taunus. Pendant que je rêvais je ne sais quelle rêverie, adossé au tronçon du clocher tronqué de 1509, des nuages sont venus et se sont mis à rouler dans le ciel, chassés par le vent, couvrant et découvrant à chaque instant de larges déchirures d’azur et laissant tomber partout sur la terre de grandes plaques d’ombre et de lumière. Cette ville et cet horizon étaient admirables ainsi. Le paysage n’est jamais plus beau que quand il revêt sa peau de tigre. — Je me croyais seul sur la tour, et j’y serais resté toute la journée. Tout à coup un petit bruit s’est fait entendre à côté de moi ; j’ai tourné la tête : c’était une toute jeune fille de quatorze ans environ, à demi sortie d’une lucarne, qui me regardait avec un