Mais c’est abominable, cela ! Et dire que je me suis commis jusqu’à lui porter ses effets ! Un mauvais sac de nuit ! Voilà un beau voyageur, qui n’a qu’un sac de nuit ! Quelles guenilles y a-t-il là dedans ? A-t-il une chemise seulement ? Au fait, il est visible que ce français n’a pas le sou. Il s’en serait probablement allé sans payer. Quels aventuriers on peut rencontrer cependant ! À quoi est-on exposé ! Je devrais peut-être offrir celui-ci à la maréchaussée. Mais, bah, il faut en avoir pitié. Qu’il aille où il voudra. À Worms, au diable ! Je fais aussi bien de le planter là, au beau milieu de la route, avec sa sacoche !
O mon ami ! Avez-vous remarqué comme il y a de grands discours qui sont vides et des monosyllabes qui sont pleins ?
Tout cela dit dans cet ah ! il saisit ma « sacoche » et la jeta à terre.
Puis il s’éloigna majestueusement avec sa charrette. Je crus devoir faire quelques remontrances.
— Hé bien, lui dis-je, vous vous en allez ainsi ? Vous me laissez là avec mon sac de nuit ? Mais, que diable ! Prenez au moins la peine de le reporter où vous l’avez pris.
Il continuait de s’éloigner.
— Hé ! rustre ! lui criai-je.
Mais il n’entendait plus le français ; il poursuivit son chemin en sifflant.
Il fallait bien en prendre mon parti. J’aurais pu courir après lui, me fâcher, m’emporter ; mais que faire d’un rustre, à moins qu’on ne l’assomme ? Et, pour tout dire, en me comparant à cet homme, je doute que de nous deux l’assommé eût été lui. La nature, qui ne veut pas de l’égalité, ne l’avait pas voulue entre ce teuton et moi. Évidemment, là, au crépuscule, en plein air, sur la grande route, j’étais l’inférieur et lui le supérieur.
O loi souveraine du coup de poing, devant laquelle tous les passants sont parfaitement inégaux ! Dura lex, sed lex !
Je me résignai donc.
Je ramassai mon sac de nuit et le pris sous mon bras ; puis je m’orientai. La nuit était pleinement tombée, l’horizon était noir, je n’apercevais rien autour de moi que