Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/201

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ce tonnelier seul éveillé dans la ville accablée et endormie, martelant une futaille sur le maître-autel !

Et tout le passé de l’illustre église m’apparaissait. Les réflexions se pressaient dans mon esprit. Hélas ! Cette même nef de Saint-Ruprecht avait vu venir à elle en grande pompe, par la grande rue de Worms, des entrées solennelles de papes et d’empereurs, quelquefois tous les deux ensemble sous le même dais, le pape à droite sur sa mule blanche, l’empereur à gauche sur son cheval noir comme le jais, clairons et tibicines en tête, aigles et gonfalons au vent, et tous les princes et tous les cardinaux à cheval en avant du pape et de l’empereur, le marquis de Montferrat tenant l’épée, le duc d’Urbin tenant le sceptre, le comte palatin portant le globe, le duc de Savoie portant la couronne !

Hélas ! comme ce qui s’en va s’en va !

Un quart d’heure après j’étais installé dans l’auberge du Faisan, qui, je dois le dire, avait le meilleur aspect du monde. Je mangeais un excellent souper dans une salle meublée d’une longue table et de deux hommes occupés à deux pipes. Malheureusement la salle à manger était peu éclairée, ce qui m’attrista. En y entrant on n’apercevait qu’une chandelle dans un nuage. Ces deux hommes dégageaient plus de fumée que dix héros.

Comme je commençais à souper, un troisième hôte entra. Celui-là ne fumait pas ; il parlait. Il parlait français avec un accent d’aventurier ; on ne pouvait distinguer en l’écoutant s’il était allemand, ou italien, ou anglais, ou auvergnat ; il était peut-être tout cela à la fois. Du reste, un grand aplomb sur un petit esprit, et, à ce qu’il me parut, quelques prétentions de bellâtre ; trop de cravate, trop de col de chemise ; des œillades aux servantes ; c’était un homme de cinquante-huit ans, mal conservé.

Il entama un dialogue à lui tout seul et le soutint ; personne ne lui répondait. Les deux allemands fumaient, je mangeais.

— Monsieur vient de France ? beau pays ! noble pays ! le sol classique ! la terre du goût ! patrie de Racine ! par exemple, je n’aime pas votre Bonaparte ! l’empereur me gâte le général. Je suis républicain, monsieur. Je le dis tout haut, votre Napoléon est un faux grand homme ; on