luxe d’images et de métaphores de granit, tout à côté, dis-je, — comme la critique à côté de la poésie, ― une pauvre petite église luthérienne, coiffée d’un chétif dôme romain, affublée d’un méchant fronton grec, blanche, carrée, anguleuse, nue, froide, triste, morne, ennuyeuse, basse, envieuse, ― proteste.
Je relis ces lignes que je viens d’écrire, et je
serais presque tenté de les effacer. Ne vous y
méprenez pas, mon ami, et n’y voyez pas ce que je
n’ai point voulu y mettre. C’est une opinion
d’artiste sur deux ouvrages d’art, rien de plus.
Gardez-vous d’y voir un jugement entre deux
religions. Toute religion m’est vénérable. Le
catholicisme est nécessaire à la société, le
protestantisme est utile à la civilisation. Et puis
insulter Luther à Worms, ce serait une double
profanation. C’est à Worms surtout que le grand
homme a été grand. Non, jamais l’ironie ne sortira
de ma bouche en présence de ces penseurs et de ces
sages qui ont souffert pour ce qu’ils ont cru le bien
et le vrai, et qui ont généreusement dépensé leur
génie pour accroître, ceux-ci la foi divine,
ceux-là la raison humaine. Leur œuvre est sainte
pour l’univers et sacrée pour moi. Heureux et bénis
ceux qui aiment et qui croient, soit qu’ils fassent,
comme les catholiques, de toute philosophie une
religion, soit qu’ils fassent, comme les protestants,
de toute religion une philosophie.
Mannheim n’est qu’à quelques lieues de Worms, sur l’autre rive du Rhin. Mannheim n’a guère, à mes yeux, d’autre mérite que d’être née la même année que Corneille, en 1606. Deux cents ans, pour une ville, c’est l’adolescence. Aussi Mannheim est-elle toute neuve. Les braves bourgeois, qui prennent le régulier pour le beau et le monotone pour l’harmonieux, et qui admirent de tout leur cœur la tragédie française et le côté en pierre de la rue de Rivoli, admireraient fort Mannheim. Cela est assommant. Il y a trente rues, et il n’y a qu’une rue ; il y a mille maisons, et il n’y a qu’une maison. Toutes les façades sont identiquement pareilles, toutes les rues se coupent à angle droit. Du reste, propreté, simplicité, blancheur, alignement au cordeau ; c’est cette beauté du damier dont j’ai parlé quelque part.