Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/71

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maître, je suis un pauvre esclave, j’ai un très méchant maître qui est un marchand du pays de Fez. Or vous savez que tous ceux de Fez, les maures, numides, garamantes et tous les habitants de la Barbarie, de la Nubie et de l’Égypte sont mauvais, pervers, sujets aux femmes et aux copulations illicites, téméraires, ravisseurs, hasardeux et impitoyables à cause de la planète Mars. De plus, mon maître est un homme que tourmentent la bile noire, la bile jaune et la pituite à Cicéron ; de là une mélancolie froide et sèche qui le rend timide, de peu de courage, avec beaucoup d’inventions néanmoins pour le mal. Ce qui retombe sur nous, pauvres esclaves, sur moi, pauvre vieux. — Où voulez-vous en venir, mon ami ? dit saint Autremoine avec intérêt. Voilà, mon bon seigneur, répondit le démon. Mon maître est un grand voyageur. Il a des manies. Dans tous les pays où il va, il a le goût de bâtir dans son jardin une montagne du sable qu’on ramasse au bord des mers près desquelles ce méchant homme s’établit. Dans la Zélande il a édifié un tas de sable fangeux et noir ; dans la Frise un tas de gros sable mêlé de ces coquilles rouges, parmi lesquelles on trouve le cône tigré ; et dans la Chersonèse cimbrique, qu’on nomme aujourd’hui Jutland, un tas de sable fin mêlé de ces coquilles blanches parmi lesquelles il n’est pas rare de rencontrer la telline-soleil-levant… — Que le diable t’emporte ! interrompit saint Nil qui est d’un naturel impatient.. Viens au fait. Voilà un quart-d’heure que tu nous fais perdre à écouter des sornettes. Je compte les minutes. — Le diable s’inclina humblement : — Vous comptez les minutes, monseigneur ? c’est un noble goût. Vous devez être du midi ; car ceux du midi sont ingénieux et adonnés aux mathématiques, parce qu’ils sont plus voisins que les autres hommes du cercle des étoiles errantes. — Puis, tout à coup, éclatant en sanglots et se meurtrissant la poitrine du poing : — Hélas ! hélas ! mes bons princes, j’ai un bien cruel maître. Pour bâtir sa montagne il m’oblige à venir tous les jours, moi vieillard, remplir cette outre de sable au bord de la mer. Il faut que je la