Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/72

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porte sur mes épaules. Quand j’ai fait un voyage, je recommence, et cela dure depuis l’aube jusqu’au coucher du soleil. Si je veux me reposer, si je veux dormir, si je succombe à la fatigue, si l’outre n’est pas bien pleine, il me fait fouetter. Hélas ! je suis bien misérable et bien battu et bien accablé d’infirmités. Hier, j’avais fait six voyages dans la journée ; le soir venu, j’étais si las que je n’ai pu hausser jusqu’à mon dos cette outre que je venais d’emplir ; et j’ai passé ici toute la nuit, pleurant à côté de ma charge et épouvanté de la colère de mon maître. Mes seigneurs, mes bons seigneurs, par grâce et par pitié, aidez-moi à mettre ce fardeau sur mes épaules, afin que je puisse m’en retourner auprès de mon maître, car si je tarde il me tuera. Ahi ! ahi !

En écoutant cette pathétique harangue, saint Nil, saint Autremoine et saint Jean-le-Nain se sentirent émus, et saint Médard se mit à pleurer, ce qui causa sur la terre une pluie de quarante jours.

Mais saint Nil dit au démon : — Je ne puis t’aider, mon ami, et j’en ai regret ; mais il faudrait mettre la main à cette outre qui est une chose morte, et un verset de la Très-Sainte-Écriture défend de toucher aux choses mortes sous peine de rester impur.

Saint Autremoine dit au démon : — Je ne puis t’aider, mon ami, et j’en ai regret ; mais je considère que ce serait une bonne action, et les bonnes actions ayant l’inconvénient de pousser à la vanité celui qui les fait, je m’abstiens d’en faire pour conserver l’humilité.

Saint Jean-le-Nain dit au démon : — Je ne puis t’aider, mon ami, et j’en ai regret ; mais comme tu vois, je suis si petit que je ne pourrais atteindre à ta ceinture. Comment ferais-je pour te mettre cette charge sur les épaules ?

Saint Médard, tout en larmes, dit au démon : — Je ne puis t’aider, mon ami, et j’en ai regret ; mais je suis si ému vraiment que j’ai les bras cassés.

Et ils continuèrent leur chemin.

Le diable enrageait. — Voilà des animaux ! s’écria-t-il en regardant les saints s’éloigner. Quels vieux pédants ! Sont-ils absurdes avec leurs grandes barbes ! Ma parole d’honneur, ils sont encore plus bêtes que l’ange !