dans la pierre. L’anneau de cette chaîne a été arraché. Je suis resté longtemps comme rivé moi-même à ce pilier, autour duquel ce libre penseur a tourné pendant six ans comme une bête fauve. Il ne pouvait se coucher ― sur le roc ― qu’à grand’peine et sans pouvoir allonger ses membres. Il n’avait en effet d’autres distractions que les distractions des bêtes fauves renfermées. Il usait le bas du pilier avec son talon. J’ai mis ma main dans le trou qu’il a fait ainsi. Et il marquait, en l’usant de même avec le pied, la saillie de granit où sa chaîne lui permettait d’atteindre. Pour tout horizon il avait la hideuse muraille de roc vif opposée au mur qui trempe dans le lac. ― Voilà dans quelles cages on mettait la pensée en 1530.
Le premier des cinq compartiments ne m’a pas moins intéressé que le cinquième. Dans le cachot de Bonivard il y a eu l’intelligence, dans celui-ci il y a eu le dévouement. Un jeune homme de Genève, nommé Michel Cotié, avait pour le prieur de Saint-Victor un attachement mêlé d’admiration. Quand il sut Bonivard à Chillon, il voulut le sauver. Il connaissait le château de Chillon pour y avoir servi ; il s’y introduisit de nouveau et s’y fit donner je ne sais quelle besogne domestique. Quelque imprudence le trahit ; il fut pris essayant de communiquer avec Bonivard. On le traita en espion et on le mit dans un cachot (le premier à droite en entrant). On l’aurait bien pendu, mais le duc de Savoie voulait des aveux qui compromissent Bonivard. Cotié résista vaillamment à la torture. Une nuit, il tenta de s’échapper ; il scia sa chaîne et perça son mur avec un clou, il grimpa jusqu’à un des soupiraux et arracha une barre de fer. Là il se crut sauvé. La nuit était très noire ; il se jeta dans le lac ; il n’avait séjourné au château que l’été, et il avait remarqué que l’eau du lac montait à quelques pieds au-dessous des soupiraux ; mais c’était l’hiver ; en hiver, il n’y a plus de fontes de neige, l’eau du lac baisse et laisse à découvert les rochers dans lesquels est enraciné Chillon ; il ne les vit pas et s’y brisa. ― Voilà l’histoire de Cotié.
Rien ne reste de lui que quelques dessins charbonnés sur le mur. Ce sont des figures demi-nature qui ne manquent pas d’un certain style ; un Christ en croix presque