mais la France littéraire bégayait encore. L’Angleterre, pour les nations du continent, n’était qu’une île considérable occupée d’un commencement obscur de troubles intérieurs. La Suisse, c’est là sa tâche aux yeux de l’historien, vendait des armées à qui en voulait. Celui qui écrit ces lignes visitait, il y a quelques années, l’arsenal de Lucerne. Tout en admirant les vitraux du seizième siècle que le sénat lucernois a failli, dit-on, laisser emporter par un financier étranger, moyennant mille francs par croisée, il arriva dans une salle où son guide lui montra deux choses : une grossière veste de montagnard auprès d’une pique, et une magnifique souquenille rouge galonnée d’or auprès d’une hallebarde. La grosse veste, c’était l’habit des paysans de Sempach ; la souquenille galonnée, c’était l’uniforme de la garde suisse de l’empereur d’Allemagne. Le visiteur s’arrêta devant cette triste et saisissante antithèse. Ce haillon populaire, cette défroque impériale, ce sayon de pâtre, cette livrée de laquais, c’était toute la gloire et toute la honte d’un peuple pendues à deux clous.
Des voyageurs étrangers qui parcouraient aussi l’arsenal de Lucerne s’écrièrent, en passant près de l’auteur de ce livre : que fait cette hallebarde à côté de cette pique ? il ne put s’empêcher de leur répondre : elle fait l’histoire de la Suisse [1]
- ↑ Les blâmes généraux de l’histoire admettent toujours les restrictions individuelles. Il faut circonscrire la sévérité pour rester dans le juste et dans le vrai. Sans contredit, et nonobstant tous les motifs d’économie politique pris dans un excédant de population qui se fût plus honorablement écoulé en émigrations ou en colonies, sans contredit, ces ventes d’armées faites par un peuple libre à tous les despotismes qui avaient besoin de soldats, sont une chose immorale et honteuse. C’était, redisons-le, transformer des citoyens en condottieri, un homme libre en lanz-knecht, l’uniforme en livrée. Il est malheureusement vrai de dire qu’au dix-septième et même au dix-huitième siècle, l’habit militaire des suisses capitules avait cet aspect. Il est triste également que le mot Suisse, qui éveille dans l’esprit une idée d’indépendance, puisse y éveiller aussi une idée de domesticité. Nous avons encore le suisse des hôtels, lé suisse des cathédrales. Il m’avait fait venir d Amiens pour être suisse. Mais il serait inique d’étendre là réprobation que soulève un fait de nation, considéré dans son ensemble, à tous les individus, souvent honorables et purs, qui ont participé à ce fait ou l’ont subi. Hâtons-nous de le proclamer, sous cette livrée il y a eu des héros. Les suisses, même capitulés, ont été