A la fin du seizième siècle, en 1588, un orage avait sauvé l’Angleterre de l’Espagne ; à la fin du dix-septième, en 1683, Sobieski sauva l’Allemagne de la Turquie. Sauver l’Angleterre, c’était sauver l’Angleterre ; sauver l’Allemagne, c’était sauver l’Europe. On pourrait dire qu’en cette mémorable conjoncture, la Pologne fit l’office de la France. Jusqu’alors c’était toujours la France que la barbarie avait rencontrée, c’était toujours devant la France qu’elle s’était dissoute. En 496, venant du nord, elle s’était brisée à Clovis ; en 732, venant du midi, elle s’était brisée à Charles-Martel.
Cependant, ni l’invincible armada vaincue par Dieu, ni Kara-Mustapha battu par Sobieski, ne rassuraient pleinement l’Europe. L’Espagne et la Turquie étaient toujours debout, et le dix-septième siècle croyait les voir grandir indéfiniment, de plus en plus redoutables et de plus en plus menaçantes, dans un terrible et prochain avenir. La politique, cette science conjecturale comme la médecine, n’avait alors pas d’autre prévision. À peine se tranquillisait-on un peu par moments en songeant que les deux colosses se rencontraient sur la mer Rouge et se heurtaient en Asie.
Ce choc dans l’Arabie heureuse, si lointain et si indistinct, ne diminuait pas aux yeux des penseurs les fatales chances qui s’amoncelaient sur la civilisation. À l’époque dont nous venons d’esquisser le tableau, l’anxiété était au comble. Un écrit intitulé Les forces du roy d’Espagne, imprimé à Paris en 1627, avec privilège du roi et gravure d’Isac Jaspar, dit : « L’ambition de ce roy seroit de posséder toute chose. Ses flottes, qui vont et viennent, brident l’Angleterre et empeschent les nauires des austres estats de courir à leur fantaisie. » Dans un autre écrit, publié vers la même époque et qui a pour titre : Discours sommaire de l’estat du turc, nous lisons : « Il (le turc) donne avec beaucoup de sujet l’alarme à la chrestienté, vu qu’il a tant de moyens de faire une grosse armée en la levant sur les pays qu’il possède. Il faudroit manquer du tout de jugement pour estre sans appréhension d’un tel déluge. »