sa croyance, le fatalisme à travers lequel il voit l’homme, le fanatisme à travers lequel il voit Dieu.
Ainsi, un grand territoire mal lié, un gouvernement inintelligent, les conspirations de palais, l’abus des colonies militaires, la servitude du paysan, l’oppression féroce des pays conquis, le despotisme dans le prince, le fanatisme dans le peuple : voilà ce qui a perdu la Turquie. Que la Russie y songe.
Voici ce qui a perdu l’Espagne :
Premièrement, la manière dont le sol était possédé. En Espagne, tout ce qui n’appartenait pas au roi appartenait à l’église ou à l’aristocratie. Le clergé espagnol était, qu’on nous permette ce mot sévèrement évangélique, scandaleusement riche. L’archevêque de Tolède, du temps de Philippe III, avait deux cent mille ducats de rente, ce qui représente aujourd’hui environ cinq millions de francs. L’abbesse de las Buelgas de Burgos était dame de vingt-quatre villes et de cinquante villages, et avait la collation de douze commanderies. Le clergé, sans compter les dîmes et les prébendes, possédait un tiers du sol ; la grandesse possédait le reste. Les domaines des grands d’Espagne étaient presque de petits royaumes. Les rois de France exilaient un duc et pair dans ses terres ; les rois d’Espagne exilaient un grand dans ses états, en sus estados. Les seigneurs espagnols étaient les plus grands propriétaires, les plus grands cultivateurs et les plus grands bergers du royaume. En 1617, le marquis de Gebraleon avait un troupeau de huit cent mille moutons. De là des provinces entières, la Vieille-Castille, par exemple, laissées en friche et abandonnées à la vaine pâture. Sans doute la petite propriété et la petite culture ont leurs inconvénients, mais elles ont d’admirables avantages. Elles lient le peuple au sol, individu par individu. Dans chaque sillon, pour ainsi dire, est scellé un anneau invisible qui attache le propriétaire à la société. L’homme aime la patrie à travers le champ. Qu’on possède un coin de terre ou la moitié d’une province, on possède, tout est dit ; c’est là le grand fait. Or, quand l’église et l’aristocratie possèdent tout, le peuple ne possède rien, quand le peuple ne possède rien, il ne tient à rien. À la première secousse, il laisse tomber l’état.