Septièmement, la nature de l’armement en Espagne. L’armement de terre était peu de chose, comparé à l’armement de mer. La puissance espagnole reposait principalement sur sa flotte. C’était dépendre d’un coup de vent. L’aventure de l’armada, c’est l’histoire de l’Espagne. Un coup de vent, qu’on l’appelle trombe, comme en Europe, ou typhon, comme en Chine, est de tous les temps. Malheur à la puissance sur laquelle le vent souffle !
Huitièmement, l’éparpillement du territoire. Les vastes possessions de l’Espagne, disséminées sur toutes les mers et dans tous les coins de la terre, n’avaient aucune adhérence avec elle. Quelques-unes, les Indes, par exemple, étaient à quatre mille lieues d’elle, et, comme nous l’avons dit, ne se liaient à la métropole que par le sillage de ses vaisseaux. Or qu’est-ce que le sillage d’un vaisseau ? Un fil. Et combien de temps croit-on que puisse tenir un monde attaché par un fil ?
L’an passé nous trouvâmes dans je ne sais plus quelle poussière un vieux livre que personne ne lit aujourd’hui et que personne n’a lu peut-être quand il a paru. C’est un in-quarto intitulé Discours de la monarchie d’Espagne, publié sans nom d’auteur, en 1617, à Paris, chez Pierre Chevalier, rue Saint-Jacques, à l’enseigne de saint-Pierre, près les mathurins. Nous ouvrîmes ce livre au hasard, et nous tombâmes, page 152, sur le passage que nous transcrivons textuellement : « Quelques-uns tiennent que cette monarchie ne peut estre de longue durée à cause que ses terres sont tellement séparées et esparses, et qu’il faut des despenses incroyables pour envoyer partout et des vaisseaux et des hommes, et mesme que ceux qui sont natifs des païs esloignés peuvent enfin entrer en considération du petit nombre des espagnols, prendre courage, et se liguer contre eux, et les chasser. » c’est en 1617, à l’époque où l’Europe tremblait devant l’Espagne, à l’apogée de la monarchie castillane, qu’un inconnu osait écrire et imprimer cette folle prophétie. Cette folle prophétie, c’était l’avenir. Deux cents ans plus tard, elle s’accomplissait dans tous ses détails, et aujourd’hui chaque mot de l’anonyme de 1617 est devenu un fait ; les terres éparses ont amené les dépenses incroyables, la métropole s’est épuisée en hommes et en vaisseaux,