les natifs des pays éloignés sont entrés en considération du petit nombre des espagnols, ont pris courage, se sont ligués contre eux, et les ont chassés. On pourrait dire que le messie Bolivar est ici prédit tout entier. ― Il y a deux siècles, toute l’Amérique était un groupe de colonies ; aujourd’hui réaction frappante, toute l’Amérique, au Brésil près, est un groupe de républiques.
Ainsi, une riche aristocratie possédant le sol et vendant le pain au peuple ; un clergé opulent, prépondérant et fanatique, mettant hors la loi des classes entières de régnicoles ; l’intolérance épiscopale ; la misère du peuple ; l’énormité de la dette ; la mauvaise administration des vice-rois lointains ; une nation sœur traitée en pays conquis ; la fragilité d’une puissance toute maritime assise sur la vague de l’océan ; la dissémination du territoire sur tous les points du globe ; le défaut d’adhérence des possessions avec la métropole ; la tendance des colonies à devenir nations, ―voilà ce qui a perdu l’Espagne. Que l’Angleterre y songe !
Enfin, pour résumer ce qui est commun à l’empire ottoman et à la monarchie espagnole, l’égoïsme, un égoïsme implacable et profond, ― chose étrange, de l’égoïsme et point d’unité ! ― une politique immorale, violente ici, fourbe là, trahissant les alliances pour servir les intérêts ; être, l’un, l’esprit militaire sans les qualités chevaleresques qui font du soldat l’appui de la sociabilité ; être, l’autre, l’esprit mercantile sans l’intelligente probité qui fait du marchand le lien des états ; représenter, comme nous l’avons dit, le premier, la barbarie, le second, la corruption ; en un mot, être, l’un, la guerre, l’autre, le commerce, n’être ni l’un ni l’autre la civilisation : voilà ce qui a fait choir les deux colosses d’autrefois. Avis aux deux colosses d’aujourd’hui.