de Neckargemund, le formidable burgrave tomba tout de son long sur le pavé.
Il était mort.
Son fils ne put relever sa famille de l’excommunication qu’en se croisant et en rapportant de la terre sainte la tête du sultan, laquelle figure encore aujourd’hui au milieu de l’écu d’un chevalier de pierre qui s’appelle Ulrich Landschad, fils de Bligger, et qui dort étendu sur un tombeau dans l’église de Steinach.
Cette famille est aujourd’hui éteinte.
Est-ce que ce n’est pas une belle histoire, Louis, et qui vaut tout aussi bien la peine d’être racontée que les grandes batailles et les mariages des rois ? Il faut pourtant ramasser cela dans la mémoire du peuple. Les historiens dédaignent ces détails. Ils disent que c’est petit ; moi, je déclare que c’est grand. Ce sont des contes de bonnes femmes, ajoutent-ils ; mais est-ce que vous connaissez rien de plus magnifique et de plus terrible que les contes de bonnes femmes ? Quant à moi, Homère me paraît si sublime que je range l’Iliade parmi les contes de bonnes femmes.
A ce sujet, Buchanan, que je feuilletais ces jours-ci dans la bibliothèque de Heidelberg, fait un aveu naïf. Voici ce qu’il écrit à propos de Macbeth : Multa hic fabulose affingunt ; sed, quia theatris aut fabulis milesIIs sunt aptiora quam historiae, ea omitto. Ce que Buchanan met ainsi entre deux parenthèses, c’est Shakspeare.
Le peuple d’ailleurs ne s’y méprend pas. Il aime le grand, et il aime les contes. Il exagère même volontiers les personnages de ses légendes, et les place, par le grossissement auguste des détails, au niveau des grands hommes historiques. La chronique ne se gêne pas plus que l’histoire pour bouleverser toute la nature quand il s’agit de solenniser un de ses héros. Lorsque le laird écossais Dunwald assassina, dans le château de fores, le roi Duff, il y eut des prodiges, et le soleil se voila comme à la mort de César.
Tant que les narrateurs de ces grandes choses s’appellent Hector Boëce ou Hailes’s, ce n’est pas de l’histoire, ce sont des contes. Le jour où ils se nomment Homère, Virgile ou Shakespeare, c’est plus que de l’histoire, c’est de l’épopée.