Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

soi ; ce sont des branchages fatigués qui se déplacent d’eux-mêmes. Deux charbons ardents, tombés on ne sait de quelle fournaise, brillent dans l’ombre au milieu des ronces ; c’est une chouette qui vous regarde.

Je me suis hâté de m’en aller, assez mal à mon aise, ne sachant où poser mes mains dans les ténèbres et tâtonnant à travers les pierres du bout de ma canne. Je vous assure que j’ai eu un mouvement de joie lorsqu’au sortir de la sombre et impénétrable voûte de végétation qui ferme et enveloppe la ruine, le ciel bleu, vague, étoilé et splendide m’est apparu comme une immense vasque de lapis-lazuli pailleté d’or, dans un écartement de montagnes.

Il me semblait que je sortais d’une tombe et que je revoyais la vie.

Le soir, après ces expéditions, je regagne la ville. Je rencontre en chemin des groupes d’étudiants de cette grande université de Heidelberg, nobles et graves jeunes hommes dont le visage pense déjà. La route longe le Neckar. La cloche de l’abbaye de Neubourg tinte par intervalles dans le lointain. Les collines jettent leurs grandes ombres sur la rivière ; l’eau étincelle au clair de lune avec le frissonnement du paillon d’argent ; de longues barques sombres passent dans les rapides comme des flèches, ou bien il n’y a ni bateaux, ni passants, ni maisons ; la vallée est muette, la rivière est déserte, et les rochers surgissent pêle-mêle au milieu des courants avec des formes de crocodiles et de grenouilles géantes qui viennent respirer le soir à fleur d’eau.

Puisque je suis en train de soleils couchants, de crépuscules et de clairs de lune, il faut que je vous raconte ma soirée d’avant-hier. Pour moi, vous le savez, ces grands aspects ne sont jamais « la même chose », et je ne me crois pas dispensé de regarder le ciel aujourd’hui parce que je l’ai vu hier. Je continue donc ma causerie.

Comme le jour déclinait, j’étais monté, par une belle châtaigneraie qui domine le château de Heidelberg, sur une haute colline qu’on appelle le petit Geissberg. Il y avait là, au douzième siècle, une forteresse bâtie par Conrad De Hohenstaufen, comte du Saint-Empire, duc des francs et beau-frère de l’empereur Barberousse. Des débris de cette