forteresse incendiée en 1278 en même temps que la ville de Heidelberg, les suédois firent en 1633 un retranchement en pierres sèches ; et, de nos jours, du retranchement de Gustave-Adolphe, un paysan a fait la clôture de son champ de pommes de terre.
La plaine du Rhin, vue du petit Geissberg, est comme l’océan vu de la falaise de bois-rosé. L’horizon est immense. Mannheim, Philipsburg, les hauts clochers de Spire, une foule de villages, des forêts, des plaines sans fin, le Rhin, le Neckar, d’innombrables îles, au fond les Vosges.
A droite, sur le Heiligenberg, croupe boisée qu’on appelait, il y a deux mille ans, le mons Pirus, et, il y a mille ans, le mons Abrahae, des ruines qu’on aperçoit racontent la même histoire que les ruines du donjon de Conrad sur le Geissberg. Les romains avaient érigé là un temple à Jupiter et un temple à Mercure ; des débris de ces deux temples, Clovis, après la bataille de Tolbiac, en 495, bâtit un palais que les rois francs habitèrent. Quatre cents ans plus tard, sous Louis Le Germanique, Théodroch, abbé de Lorges, édifia une église avec la démolition du palais de Clovis. En 1622, les impériaux, commandés par le comte de Tilly, s’emparèrent du Heiligenberg, jetèrent bas l’abbaye romane de Théodroch et construisirent avec les décombres des batteries et des épaulements sur la crête de la montagne. Aujourd’hui, avec ces pierres qui ont été un temple à Jupiter, un palais des rois francs, une église catholique, une batterie impériale, les paysans des villages voisins font des cabanes.
Je m’étais assis au haut du Geissberg, à côté d’un chèvrefeuille sauvage encore en fleurs, sur une pierre posée là pendant la guerre de trente ans. Le soleil avait disparu. Je contemplais ce magnifique paysage. Quelques nuées fuyaient vers l’orient. Le couchant posait sur les Vosges violettes ses longues bandelettes peintes des couleurs du spectre solaire. Une étoile brillait au plus clair du ciel.
Il me semblait que tous ces hommes, tous ces fantômes, toutes ces ombres qui avaient passé depuis deux mille ans dans ces montagnes, Attila, Clovis, Conrad, Barberousse, Frédéric Le Victorieux, Gustave-Adolphe, Turenne, Custine, s’y dressaient encore derrière moi et regardaient