couleuvres vous rampent dans le cerveau ; la ronce siffle au bord du talus comme une poignée d’aspics ; le fouet du postillon est une vipère volante qui suit la voiture et cherche à vous mordre à travers la vitre ; au loin, dans la brume, la ligne des collines ondule comme le ventre d’un boa qui digère, et prend dans les grossissements du sommeil la figure d’un dragon prodigieux qui entourerait l’horizon. Le vent râle comme un cyclope fatigué et vous fait rêver à quelque ouvrier effrayant qui travaille avec douleur dans les ténèbres. ― Tout vit de cette vie affreuse que les nuits d’orage donnent aux choses.
Les villes qu’on traverse se mettent aussi à danser, les rues montent et descendent perpendiculairement, les maisons se penchent pêle-mêle sur la voiture, et quelques-unes y regardent avec des yeux de braise. Ce sont celles qui ont encore des fenêtres éclairées.
Vers cinq heures du matin, on se croit brisé ; le soleil se lève, on n’y pense plus.
Voilà ce que c’est qu’une nuit en malle-poste, et je vous parle ici des nouvelles malles, qui sont d’ailleurs d’excellentes voitures le jour, quand la route est bonne, ― ce qui est rare en France.
Vous pensez bien, cher ami, qu’il me serait difficile de vous donner idée d’un pays parcouru de cette manière. J’ai traversé Sézanne, et voici ce qui m’en reste : une longue rue délabrée, des maisons basses, une place avec une fontaine, une boutique ouverte où un homme éclairé d’une chandelle rabote une planche. J’ai traversé Phalsbourg, et voici ce que j’en ai gardé : un bruit de chaînes et de ponts-levis, des soldats regardant avec des lanternes, et de noires portes fortifiées sous lesquelles s’engouffrait la voiture.
De Vitry-sur-Marne à Nancy, j’ai voyagé au jour. Je n’ai rien vu de bien remarquable. Il est vrai que la malle-poste ne laisse rien voir.
Vitry-sur-Marne est une place de guerre rococo. Saint-Dizier est une longue et large rue bordée çà et là de belles maisons Louis XV en pierre de taille. Bar-le-Duc est assez pittoresque ; une jolie rivière y passe. Je suppose que c’est l’Ornain ; mais je n’affirme rien en fait de rivière, depuis