l’encre. J’avais commencé cette lettre avec ma carafe pour écritoire. Puisque j’ai de bonne encre, je vais vous parler de Bâle, comme je vous l’ai promis.
Au premier abord, la cathédrale de Bâle choque et indigne. Premièrement, elle n’a plus de vitraux ; deuxièmement, elle est badigeonnée en gros rouge, non seulement à l’intérieur, ce qui est de droit, mais à l’extérieur, ce qui est infâme ; et cela, depuis le pavé de la place jusqu’à la pointe des clochers ; si bien que les deux flèches, que l’architecte du quinzième siècle avait faites charmantes, ont l’air maintenant de deux carottes sculptées à jour. — Pourtant, la première colère passée, on regarde l’église, et l’on s’y plaît ; elle a de beaux restes. Le toit, en tuiles de couleur, a son originalité et sa grâce (la charpente intérieure est de peu d’intérêt). Les flèches, flanquées d’escaliers-lanternes, sont jolies. Sur la façade principale il y a quatre curieuses statues de femmes ; deux femmes saintes qui rêvent et qui lisent ; deux femmes folles, à peine vêtues, montrant leurs belles épaules de suissesses fermes et grasses, se raillant et s’injuriant avec de grands éclats de rire des deux côtés du portail gothique. Cette façon de représenter le diable est neuve et spirituelle. Deux saints équestres, saint Georges et saint Martin, figurés à cheval et plus grands que nature, complètent l’ajustement de la façade. Saint Martin partage à un pauvre la moitié de son manteau, qui n’était peut-être qu’une méchante couverture de laine, et qui maintenant, transfiguré par l’aumône, est en marbre, en granit, en jaspe, en porphyre, en velours, en satin, en pourpre, en drap d’argent, en brocart d’or, brodé en diamants et en perles, ciselé par Benvenuto, sculpté par Jean Goujon, peint par Raphaël. ― Saint Georges, sur la tête duquel deux anges posent un morion germanique, enfonce un grand coup de lance dans la gueule du dragon qui se tord sur une plinthe composée de végétaux hideux.
Le portail de gauche est un beau poème roman. Sous l’archivolte, les quatre évangélistes ; à droite et à gauche, toutes les œuvres de charité figurées dans de petites stances superposées, encadrées de deux piliers et surmontées d’une architrave. Cela fait deux espèces de pilastres au