Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/33

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charme. Il voulut savoir comment elle avait connu les Rambert.

— Rambert est l’un de mes meilleurs lieutenants, et un homme que j’estime. Certains le croient ambitieux, parce que sa spontanéité toute française le porte souvent au premier plan de la scène. Il pense beaucoup et agit énormément, mais son désintéressement, comme son dévouement, est absolu. Il est bon de la façon la plus intelligente, et loyal et sincère. Je l’aime beaucoup. Je suis très heureux de vous trouver chez eux, ce soir. Leur maison est aimable à fréquenter.

— C’est la première fois que j’y viens, mais je rencontre souvent M. Rambert qui est charmant pour moi. Je connais moins sa femme…

Ici la voix d’Anne faiblit légèrement, et Laurier, avec toute sa finesse, comprit ce que la jeune fille ne voulait pas dire. Il parla pour elle :

Madame Rambert est froide, mais c’est une femme intelligente, qui voit clair et parle juste.

— C’est possible… murmura Anne, peu convaincue, et Laurier sourit de la voir si sincère avec elle-même et avec lui.

Henri Daunois, sur un signe du grand homme s’approcha :

— Je sais que c’est un bon camarade, dit-il à Anne, en serrant la main du jeune journaliste. Seulement, il ne m’aime pas beaucoup ; aussi faudra-t-il ne pas vous laisser influencer par lui, car tous ces nationalistes[1] sont des gens terribles qui demandent ma tête… Mais au fait, Mademoiselle Mérival, si je me rappelle bien le ton de certaine chronique… vous l’êtes bien un peu, vous aussi, nationaliste ?

— Il faut me le pardonner. Sir Wilfrid, c’est mon péché de jeunesse…

— Comme vous avez raison, et si j’avais vingt ans, je le serais, moi aussi, c’est l’âge des belles ambitions, des rêves téméraires… Plus tard viennent les précisions arides qui nous fixent des buts définis, et nous condamnent à des décisions froides et raisonnées. Mais, finit-il en souriant, aux heures les plus difficiles, devant les problèmes les plus pénibles, comme l’on regrette souvent la belle ardeur de son printemps…

Lorsqu’il les eut quittés, Anne fut tout de suite entourée par les invités qui voulaient connaître cette toute jeune fille à qui Laurier avait témoigné une telle attention. À plusieurs reprises, Rambert se rapprocha d’Anne, s’inquiétant de son entourage, lui présentant un personnage qu’il lui était agréable de connaître, n’oubliant rien qui put lui faire apprécier le souvenir de son début mondain.

Au départ, elle vint saluer Madame Rambert qui arrêta froidement ses mots de remerciement et d’adieu !

— Mademoiselle Mérival, je vous saurais gré d’être fort discrète dans votre compte-rendu, et de ne pas insister sur les détails… Les journaux commettent tant de maladresses que nous leur devons parfois notre gratitude pour leur silence…

Anne avait blêmi sous le rappel malveillant de l’hôtesse. Autour des deux femmes, la gêne s’était faite. Seul, Paul Rambert, effaré, osa :

— Marthe !

Sa femme comprit ce que son nom, ainsi jeté, exprimait de reproche contenu, et elle voulut se racheter, mais Anne ne lui en laissa pas le temps :

— Je regrette, madame, que vous vous soyiez trompée en m’invitant. Je ne m’occupe pas de ce service, et je vous en exprime tous mes regrets.

Et d’un léger salut elle prit congé. Paul Rambert la rejoignit au moment où elle sortait.

— Ne me donnerez-vous pas la main, mademoiselle Mérival, et voulez-vous me promettre que le souvenir des heures passées dans notre maison ne sera pas gâté par les dernières paroles de ma femme qui est souffrante ce soir, et a dû

  1. Allusion à une école politique, dont l’influence s’accréditait.