Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/34

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faire un grand effort pour recevoir ses invités. Elle est au bout de ses nerfs, et soyez certaine qu’elle n’a pas eu l’intention de vous blesser…

Anne eut un geste insouciant. Que lui importait, en effet ? Jamais, entre cette femme et elle, il ne pouvait y avoir de réelle sympathie. Mais elle eut conscience du tourment qui agitait Rambert, lorsque tendrement il garda, dans la sienne, la petite main qu’il avait sollicitée.


VIII


Anne ne s’étonna pas de l’Henriette nouvelle qu’elle retrouva. Trop de pensées douces et jolies l’avaient envahie, pour que la mine contrainte de son amie d’enfance pût la tirer de la joie d’avoir été jeune et fêtée à cette réception des Rambert, dont elle emportait une vision radieuse, et que la sortie intempestive de l’hôtesse ne parvenait pas à obscurcir.

— Je suis partie, hier soir, sans t’attendre, expliqua Henriette, d’une voix assourdie, parce que…

— Ah ! ma chère, ce que je me suis amusée, interrompit Anne exubérante, tu ne te l’imagines même pas, Madame Rambert, est un peu bête, mais il faut lui pardonner… on la dit malade. Lui, est un homme exquis, qui cause admirablement, et vous dit justement les choses qui font le plus plaisir. Il a été particulièrement charmant pour moi. Puis il y avait là Laurier… Quel homme, Henriette, et çomme l’on s’explique qu’il soit partout adulé ! T’ai-je dit qu’il avait connu et apprécié mon père ? Il me l’a rappelé, avec des mots émus qui m’ont touchée immensément.

— Et Henri Daunois ?

Anne se mit à rire :

— Quel ton agressif pour parler de ce camarade si dévoué et si discret. En vérité, Henriette, Jean t’aurait chargé de faire la police autour de ma fidélité que tu ne parlerais pas autrement. Mais Henri Daunois s’est montré l’ami parfait que je te présenterai quelque jour.

Au fait, quelqu’un est venu, m’a-t-on dit, me demander hier soir, quelques instants après notre départ. Saurais-tu qui c’est ?

Henriette ne répondit pas. C’en était fait, dorénavant, elle saurait mentir, à Anne. Tant pis, après tout, puisqu’elle avait choisi, et que ce choix, elle n’aurait su le faire autrement. Elle questionna simplement :

— Anne, diras-tu à Jean l’histoire de ce bal ?

Ainsi interpellée, la jeune fille hésita tout un long moment. Pour la première fois de sa vie, elle sentait combien il serait bon de se taire, de garder un secret envers l’être auquel elle s’était toujours entièrement confiée, et une lassitude lui vint des luttes à soutenir, des reproches à subir, des tristesses à comprendre. Henriette regardait, avec angoisse, ce pauvre petit visage si doux que l’incertitude ravageait. Elle eût voulu avoir pitié, et d’un geste où remontait toute sa vieille affection, elle se pencha vers Anne pour l’embrasser. Mais un instinctif émoi la rejeta en arrière. Le sentiment de sa trahison l’envahit.

— Oui, je lui écrirai tout ce qui s’est passé, Henriette, mais tu ne sais pas combien cette confession va me peser. Il n’est plus, le temps où je me racontais toute avec un si entier abandon… Jean est resté le même, Henriette, mais moi, vois-tu, j’ai bien changé. Je ne suis plus la petite fille de Clair-Ruisseau, j’ai vieilli, et mes rêves ont grandi ! Tu n’imagines pas, Henriette, combien tout cela est douloureux et implacable. Je ne puis m’expliquer, et d’ailleurs Jean ne me comprendrait pas. Il m’aime, lui, tout simplement, et je sens que même la certitude de l’abîme qui nous sépare ne le ferait pas reculer. Et pourtant, chère, jamais je ne l’ai tant éprouvé, je ne suis pas celle qui peut le rendre heureux. Et à la seule pensée qu’il m’emportera, que je ne m’appartiendrai plus, qu’il va devenir le maître de ma vie, le dictateur de