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Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/59

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de famille, et d’un père de famille qui serait très vieux…

Anne regardait avec tendresse cette femme admirable dont la vie se résumait en un devoir continuel, et qui pratiquait, sans une distraction, l’art de s’oublier.

— Et Daunois, que devient-il ?

— En voilà un ami, et qui n’abandonne pas dans le malheur. Vous n’avez pas idée de tous les services qu’il nous a rendus pendant votre maladie. Nous n’avions qu’à l’appeler pour le voir aussitôt arriver. Quel homme de cœur et quel charmant caractère. Ma sœur Louise et lui sont devenus de vrais amis, confia-t-elle avec un accent d’espoir.

Anne eut un tressaillement heureux : «  Comme tout se place », songea-t-elle, et une fois de plus, Claire Benjamin lui apportait la paix, Anne pouvait donc en toute liberté obéir à l’élan de son cœur ; son bonheur ne jaillirait pas des ruines qu’elle aurait amoncelées. Une crainte cependant grondait encore sourdement au fond d’elle-même, et les yeux dans les yeux, de son amie, elle jeta sa confidence :

— J’ai peur. Claire, j’ai peur que l’amour que j’éprouve soit trop parfait et trop entier. Je suis une petite fille presque primitive ; lui, a connu la vie à deux ; des comparaisons s’imposeront ; il ressentira peut-être des regrets. Il me trouvera moins intelligente et moins raffinée que l’autre… peut-être ne pourra-t-il oublier dans mes bras celle qui fut la compagne de ses débuts, de sa jeunesse… Alors, je souffrirai sans doute de ne pouvoir endormir sa peine…

— Enfant, qui se forge des chimères, enfant qui a peur du bonheur, et met la main devant ses yeux pour ne pas le regarder en face… Vous ignorez donc votre charme souverain, Anne. Le subissant, comme il le subit, Paul Rambert connaîtra avec vous la joie incomparable des âmes assorties. La femme de sa jeunesse lui convenait moins que vous. Elle était intelligente, mais froide, et son esprit étroit la rendait mal indulgente ; elle avait un besoin de domination qu’elle n’aurait jamais su réprimer. Au début de sa vie, alors qu’il était encore timide et craintif, qu’il manquait de confiance en lui, Rambert accepta la direction de sa femme, plus tard il la subit plus ou moins patiemment. Cet homme a une personnalité trop forte et trop développée, pour se laisser tenir en laisse ; il aurait secoué le joug un jour ou l’autre. La mort l’a en quelque sorte dé-