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Page:Hugues - Alexandre Corréard, de Serres, naufragé de la Méduse.djvu/12

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Enfin, le signal du départ fut donné. Le radeau, remorqué par les six embarcations, s’éloigna de la frégate aux cris de : Vive le Roi ! On avait assez bon courage : les dunes du Sahara n’étaient pas à plus de douze lieues et les commandants des bateaux avaient juré de ne pas abandonner le radeau. On devait se sauver tous ou périr tous ensemble. Mais à peine était-on arrivé à deux lieues de la Méduse qu’il se produisit une confusion parmi les embarcations. Une chaloupe trop chargée cherchait à faire entrer une partie de son personnel dans une autre. L’un des canots, placé le troisième, pour éviter un choc, abandonna la remorque en sorte que le radeau ne fut plus tiré que par deux bateaux. Bientôt leurs équipages se voyant seuls, se découragèrent. Les dernières remorques se cassèrent-elles ou furent-elles lâchées volontairement ? Corréard se prononce sans hésiter pour la seconde hypothèse et prétend même que plusieurs de ses compagnons d’infortune entendirent distinctement ces mots : « nous les abandonnons. »

Je laisse maintenant la parole à notre compatriote :

« Après la disparition des embarcations, dit-il, la consternation fut extrême. Tout ce qu’ont de terrible la soif et la faim se retraça à notre imagination, et nous avions encore à lutter contre un perfide élément qui déjà recouvrait la moitié de nos corps. De la stupeur la plus profonde, les matelots et les soldats passèrent bientôt au désespoir ; tous voyaient leur perte infaillible et annonçaient par leurs plaintes les sombres pensées qui les agitaient. Nos discours furent d’abord inutiles pour calmer leurs craintes, que nous partagions cependant avec eux, mais qu’une plus grande force de caractère nous faisait dissimuler. Enfin, une contenance ferme, des propos consolants, parvinrent à les calmer ; mais ils ne purent entièrement dissiper la terreur dont ils étaient frappés……

« Nous étions tous partis du bord sans avoir pris aucune nourriture ; la faim commença à se faire sentir impérieusement. Nous mêlâmes notre pâte de biscuit marinée avec un peu de vin et nous la distribuâmes ainsi préparée.