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Page:Hugues - Poésies choisies.djvu/42

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Il cloua sous la branche une espèce de glaive,
Une lame élargie aux bords lisses et durs ;
Et, depuis ce jour-là, je déchire sans trêve
Le sol tout glorieux du poids des épis mûrs.

Car je suis le plus saint des outils, la charrue !
J’ouvre les sillons gras au vol des germes sourds ;
La gerbe, grâce à moi, s’entasse, haute et drue :
J’ai ma part de fierté dans l’orgueil des blés lourds.

Je tressaille, je vibre aux étreintes de l’Homme ;
Je l’aide à féconder les éternels hymens ;
Et, pendant qu’il s’en va, le bras déployé, comme
S’il cueillait dans le ciel l’azur à pleines mains ;

Pendant qu’il jette au vent les semences légères,
Le geste lent, les reins tendus, le front baissé,
Broyant sous ses talons les petites fougères
Qui pendillent au bord du sillon commencé,

Moi je mords les cailloux et j’écarte la ronce,
La racine obstinée ou le lierre têtu
Et sous la terre obscure et froide je m’enfonce,
Dans le déchirement du soc rude et pointu.

Et le soc est pareil à la coquille lisse
Dont la spirale fend le vaste flot amer,
Afin qu’autour de lui le sol soulevé glisse,
Léger comme une vague aux flancs bleus de la mer.