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Délicieusement meurtrie et déchirée,
L’âme flotte, se livre au songe ensorceleur.
Une larme envahit la prunelle égarée :
Le bonheur est si grand qu’il touche à la douleur.

Et puis, on se remet à vivre, on souffre, on pleure ;
Mais l’amour refleurit dans la fuite de l’heure,
On est le fiancé qui survit dans l’époux ;

Et l’on accepte tout, même l’injure infâme,
Parce qu’on a gardé sur la bouche et dans l’âme
La pudique fraîcheur du baiser lent et doux.


LE PREMIER BÉBÉ


Quand je vis près de toi, dans la blancheur des langes,
Notre première enfant, pour la première fois,
J’eus tout à coup dans l’œil des fixités étranges,
Des frissons dans la chair, des sanglots dans la voix.

Ô pauvres cœurs humains éclaboussés de fanges !
« Quoi ! disais-je, est-ce bien mon rêve que je vois ? »
J’ai peu d’espoir en Dieu ; mais je pensais aux anges,
Tout en baisant le bout de ses beaux petits doigts.

Ce n’était presque rien : un paquet de chair rose.
Mais le souffle animait la lèvre a demi close ;
Et je me sentais fier, candide, triomphant ;

Et je me demandais comment une âme humaine
Contient, sans déborder comme une coupe pleine,
Tant d’amour pour la mère et d’espoir pour l’enfant.


Clovis Hughes.



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