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LE MASSACRE DE LACHINE

CHAPITRE III

LA COURSE TERRIBLE


La matinée du jour qui suivit les événements décrits dans les deux précédents chapitres avait été réservée par le chef des Abénaquis pour la torture préliminaire de son prisonnier. Le chef huron allait être forcé de faire la course terrible, formidable épreuve que tout prisonnier sauvage devait subir avant de périr sur le bûcher. Cette coutume barbare existait chez toutes les nations sauvages, et l’importance que l’on attachait à cette première épreuve était en raison de la position et de la réputation du prisonnier. D’après une tradition répandue chez les colons, un blanc, au début de la colonie, avait victorieusement subi l’épreuve et échappé à ses ennemis, rangés sur deux rangs, entre lesquels il avait dû passer, non sans emporter dans la tombe les marques terribles du couteau et du tomahawk. Mais, règle générale, il était presque impossible d’échapper, et la victime, avant d’être arrivée au milieu de sa course, était tellement meurtrie qu’elle tombait épuisée et insensible, et, dans cet état, on l’emportait sur le bûcher.


Il agita en l’air la chevelure sanglante de son ennemi.

Depuis le moment où il avait été emmené de la salle du conseil par le Serpent et sa bande, le chef huron avait été observé de près par des yeux auxquels la perspective d’une prochaine vengeance donnait un air farouche. Arrivé à sa destination qui était le wigwam de son ennemi le Serpent, on lui lia les bras derrière le dos avec de fortes courroies faites de peau de cerf non tannées. Ses jambes furent attachées de la même manière. Une garde de douze sauvages, chacun armé d’un couteau et d’un tomahawk, entourait le Huron ; cette garde était relevée toutes les trois heures. Il y avait aussi à l’intérieur du wigwam, un piquet de soldats français chargés de veiller à ce qu’on ne fit pas au prisonnier d’insultes inutiles.

Deux heures environ après le lever du soleil, toute la population du village abénaquis se mit en mouvement pour se rendre à une clairière, longue d’environ cinq arpents, entre le fort et le lac Ontario. C’était l’endroit choisi pour la « course terrible » ; là se rendaient des vieillards courbés par l’âge — des sauvagesses aux cheveux gris, édentées, hideuses — des sauvagesses plus jeunes se faisant aussi une fête de cette