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Page:Huot - Le trésor de Bigot, 1926.djvu/53

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LE TRÉSOR DE BIGOT

À deux milles environ de Pintendre, Jules dit au vieux qu’il allait faire avancer sa machine très lentement afin de lui permettre de se reconnaître si possible.

Le père Latulippe fouillait les alentours du regard. Tout à coup, il dit au détective :

— Arrêtez ! arrêtez !

Le Sedan stoppa immédiatement.

— Je crois que nous ne sommes pas loin de l’endroit où j’ai failli me noyer dans mon jeune temps, remarqua le vieillard.

Ils descendirent tous de voiture et avancèrent sur le bord de la rivière Etchemin que la route longe pendant un mille.

Le père Latulippe suivit pendant plusieurs minutes la rive accidentée. Souvent il s’arrêtait et examinait les rochers sur sa route. Mais il secouait la tête, marmotant :

— Non, non. Ce n’est pas ça. Allons plus loin.

Une demi-heure se passa ainsi en recherches.

À la fin, le vieillard se trouva en face d’un rocher qui avançait dans la rivière. Sur le bord de ce rocher, il y avait un trou profond d’environ deux pouces de diamètre.

Le vieillard se pencha et examina longuement l’orifice. Puis il regarda, la tête au-dessus de l’eau, la paroi verticale du rocher.

— Je crois, dit-il en hésitant, que c’est ici que j’ai failli me noyer. Il n’y a plus d’anneau de fer. Mais ce trou-ci pourrait bien être l’endroit où on avait attaché cet anneau que le temps et un flottage de billots trop dur auront arraché.

Le détective dit alors :

— Supposons que c’est bien ici qu’était l’anneau, et tâchons de résoudre le problème en nous servant de cette base hypothétique.

Il sortit de sa poche le bout de parchemin et relut :

« Le soleil se lève ; je sors de ma maison.
Je fais 512 pas vers la rivière. Je m’arrête
et regarde. Le soleil donne sur la fosse du
noyé. Je fais 21 pas, le soleil dans le dos.
Ici est le salut de la Nouvelle-France.

Le détective déclara ensuite à Madeleine et au père Latulippe :

— Ici est le salut de la Nouvelle-France. « Ici », c’est la fosse du noyé et « le salut de la Nouvelle-France », c’est le trésor de Bigot. Plus nous avançons dans nos recherches plus cette opinion me semble vraie. Servons-nous-en comme point de départ. L’anneau disparu était tout près de la fosse du noyé. En refaisant en sens inverse le trajet parcouru autrefois par Marcel Morin et décrit sur le bout de parchemin, je devrai finalement arriver à l’endroit où s’élevait sa maison.

Le père Latulippe interrompit Jules :

— Si vous retrouvez les ruines de cette demeure, dit-il, je suis sûr que là, je pourrais m’orienter pour retrouver la fosse du noyé.

Le détective relut encore la copie du parchemin puis il déclara :

— Du trou laissé béant par la disparition de l’anneau, je vais faire 21 pas. Mais dans quelle direction ? Quand Marcel Morin a fait ces 21 pas, il avait le soleil dans le dos. C’était le matin. Le soleil se levait. Or le soleil se lève au sud-est. En me dirigeant vers le sud-est, j’arriverai donc à l’endroit où se trouvait Marcel Morin avant de parcourir les 21 pas. De là, je m’en vais faire 512 pas, le dos à la rivière. Peut-être n’arriverai-je pas du premier coup aux ruines. Mais en répétant la même marche dans toutes les directions d’un demi-cercle, prenant pour centre de la circonférence l’endroit où je me serai arrêté après les 21 pas, je finirai certes par découvrir les ruines, s’il en reste.

Ce qui fut dit fut fait.

Le détective travailla une longue heure sous les regards attentifs du père Latulippe.

Madeleine s’était éloignée un peu et rêvait dans un bosquet.

Jules Laroche était tout en nage. Six fois, il avait fait 512 pas sans résultat.

Enfin, du haut d’un coteau boisé, il appela le père Latulippe et Tricentenaire qui était resté dans l’automobile.

Quand ils furent arrivés sur le sommet du coteau, le détective lui montra des ruines. Le carré d’une maison apparaissait encore presque distinctement parmi les herbes et les branches.

Le vieillard contempla longtemps les ruines, puis regarda vers la rivière :

— Oh ! je me reconnais à présent, s’écria-t-il. Je pourrais retrouver la fosse du noyé les yeux fermés. Suivez-moi, je vais vous y conduire.

Le vieillard prit le devant et descendit le coteau, suivi de Tricentenaire et de son maître.

Pas un mot ne fut échangé. Le détective avait perdu un peu de son calme. Allait-on enfin retrouver le trésor enfoui depuis près de 200 ans ?

Le père Latulippe se dirigea en droite ligne vers la rivière. Quand il ne fut plus qu’à quelques pieds de l’Etchemin, il obliqua et continua sa marche pendant quelques instants. Puis, s’arrêtant, il écarta les broussailles et dit au détective :

— C’est ici.