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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

ques auxquelles inconsciemment ont obéi les maîtres du vers ; il y en aurait dix, vingt peut-être, davantage même, mais je crois fort qu’elles existent en nombre déterminé, en dehors desquelles l’oreille française n’est pas satisfaite.

Oui, le vers doit avoir une musique avant tout, même avant une clarté dans l’idée. Je reproche simplement aux vers de quinze ou seize pieds de n’avoir pas une musique perceptible à mon oreille… Peut-être est-ce d’ailleurs un fait d’habitude ? Peut-être est-ce aussi parce que j’ai de mauvais yeux, que je ne perçois pas bien la couleur des mots, et ne crois pas à leur musique. Les symbolistes admettent des vers de toute mesure, moi aussi, parbleu ! mais jusqu’à douze pieds seulement. Le vers libre est une affaire de pondération et de rythme instinctif ; mais il peut certainement arriver à la musique. Cela suffit à ce que les vers libres soient vraiment des vers. Quoi de plus beau, de plus parfaitement eurythmique que certains chœurs en vers libres des tragédies classiques ?

… Vous voyez bien, — s’interrompt M. Armand Silvestre, — je n’avais rien à vous dire de bien intéressant ? Mais si vous voulez, pour votre enquête, le résumé de mon opinion, le voici en deux lignes :

« La rime étant l’unique règle de la poésie française, on cesse de faire des vers français dès qu’on la supprime. On fait autre chose, — de la prose rythmée, tout simplement. »