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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

sort des faits minuscules et se noie dans l’océan de l’oubli.

» Mais s’il correspond aux doutes, aux croyances de son temps, s’il fixe les connaissances et les expériences du milieu dans lequel il éclot, s’il accumule des documents profitables aux lecteurs de l’avenir, enfin, s’il a une valeur pour l’histoire, alors il émerge au-dessus des productions dont le cercle est borné. Le temps ne peut faucher ce qui occupe un trop grand espace.

» Flaubert a entrevu tout cela ; mais il a dispersé, émietté son aperception. S’il avait réuni en un seul livre l’étude approfondie des caractères de madame Bovary, les curiosités et les attraits de la légende et de l’histoire de Salammbô, la très haute philosophie de la tentation de saint Antoine, l’état complet de la science de son temps fixé dans Bouvard et Pécuchet, s’il y avait ajouté ce dont il me parla plusieurs fois, l’exaltation de l’héroïsme humain à propos de Léonidas, il eût laissé l’une des œuvres, peut-être l’œuvre la plus géniale de notre époque.

» La religion affirmée ou niée, qui joue un si grand rôle sur l’esprit des recherches de la science, en joue un égal sur l’esprit des observations qui sont la matière du roman. Lorsque la religion domine, le roman est mystique ; lorsqu’elle commence à être discutée, le roman est imaginatif, l’homme cherchant sur terre la compensation de ce qu’il se laisse ravir au ciel ;