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rapports anatomiques

qu’un orang ou un chimpanzé s’il était réduit à la société de ses pareils. Et cependant il peut ne pas y avoir la plus petite différence appréciable entre ce cerveau et celui d’une personne très-intelligente et cultivée. Le mutisme peut être la conséquence d’une conformation défectueuse de la bouche ou de la langue, ou seulement un défaut d’innervation de ces organes ; il peut être aussi le résultat d’une surdité congénitale causée par quelque très-légère anomalie de l’oreille interne, qu’un anatomiste très-attentif peut seul découvrir.

L’argument par lequel on soutient qu’une différence considérable entre l’intelligence de l’homme et celle du singe doit produire une différence égale de leurs cerveaux me paraît aussi mal fondé que le mode de raisonnement dans lequel on voudrait prouver que, puisqu’il y a un « gouffre immense » entre une montre qui marque bien l’heure et une autre montre qui n’irait pas du tout, il doit y avoir un hiatus de structure considérable entre les deux montres. Un cheveu sur le balancier, un peu de poussière sur le pignon, une flexion imprimée à une dent de l’échappement, un quelque chose si léger que l’œil exercé de l’horloger peut seul découvrir, voilà quelle peut être la source des différences.

Comme je crois, avec Cuvier, que la possession du langage articulé est la grande caractéristique de l’homme (qu’il lui soit ou non exclusivement propre), je pense qu’il est très-facile de comprendre que quelque différence de structure aussi délicate peut avoir été la cause première de l’immense et, dans la pratique, infinie divergence[1] de la souche humaine et de la simienne.

  1. Les mots immense différence, grand gouffre, hiatus, abîme, gouffre, qui reviennent souvent dans le texte de M. Huxley, m’ont quelquefois paru peu en rapport avec sa pensée. Je les ai néanmoins traduits tels quels, en me souve-