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de l’homme et des animaux.

pend exclusivement du cerveau, tandis que le cerveau n’est que l’une des nombreuses conditions dont dépendent les manifestations intellectuelles[1], les autres étant principalement les organes des sens et les appareils moteurs, spécialement ceux qui jouent un rôle dans la préhension et dans la production du langage articulé.

Un muet, quel que soit le volume de son cerveau et la force des instincts intellectuels dont il aurait hérité, ne serait pas capable de montrer beaucoup plus d’intelligence

  1. Le traducteur a soutenu cette thèse devant la Société d’anthropologie, à la suite d’une discussion sur le siège des fonctions intellectuelles, le 1er  février 1866, et l’a reprise le 15 du même mois. Il est heureux de pouvoir s’appuyer aujourd’hui de l’autorité de M. Huxley, car il avoue n’avoir trouvé parmi ses collègues que des contradicteurs. Il a même été, à cette occasion, accusé de produire « une réminiscence de ces époques barbares où la science anatomique n’existait pas. » L’idée que toutes les parties de l’organisme concourent à la production des phénomènes intellectuels, et que le cerveau est, un appareil collecteur des impressions et transformateur de ces impressions en mouvements, a semblé contraire à tous les dogmes de la physiologie. Les dogmes, fort heureusement, durent moins longtemps dans les sciences naturelles qu’en théologie, surtout en ce qui touche les fonctions du système nerveux, au sujet desquelles il n’existe pas une théorie qui supporte l’épreuve de tous les faits. La notion de la localisation absolue des fonctions est comme celle de la localisation absolue des maladies, l’une des plus étroites qui aient été émises ; on a complètement perdu de vue les corrélations organiques dont le rôle est tellement considérable qu’il suffit d’une maladie viscérale pour changer le cours des idées, et même leur nature et leur portée. Le cerveau, loin d’être le maître, n’est que l’esclave des viscères ; il est, si l’on veut, l’organe le plus complexe, subordonné au plus grand nombre d’influences. Que le cœur se dilate ou s’hypertrophie, que l’estomac digère mal, que le foie soit calculeux, que les poumons se tuberculisent, et les manifestations mentales changent de nature, des idées nouvelles, tristes, mélancoliques, violentes, criminelles même surgissent, le cerveau restant le même ! Il suit de là que quand on possède un crâne et même un cerveau, on n’a, comme le dit M. Huxley, que l’une des conditions de l’entendement ; cette « condition » ne pourra rendre compte des phénomènes intellectuels que dans la proportion où elle les produit. Cette proportion est grande, sans nul doute, mais elle reste une proportion. (Trad.)