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le quartier saint-séverin

long comptoir où trône le tenancier Pierre Trolliet, un géant habillé d’un tricot de laine, coiffé d’une calotte plantée de travers sur des cheveux qui frisent ; il mâche un cigare d’un sou, crache sec, hérisse une dure moustache sur une bouche piquée de bleu par des points de poudre. Il y a en lui d’un municipal formidable et d’un titanique chiourme. Derrière le comptoir s’alignent, à portée de sa main, deux nerfs de bœuf de calibre différent et dont il use suivant la gravité des cas, et, depuis l’affaire de Gamahut qu’il dénonça, il a un revolver chargé dans un tiroir.

Cet homme mène la vie d’un dompteur qui risque, chaque jour, d’être mangé, car les haines accumulées sur lui sont terribles ; mais, aidé par des garçons qu’il trie parmi des lutteurs de profession, il mène sa ménagerie sans trop d’à-coups.

Cette ménagerie est à la fois sérieuse et ne l’est pas ; autrement dit, il y a, comme chez le Père Lunette, toute une part de décor apte à allécher le public ; la salle où le montreur l’exhibe est au premier ; elle est, ainsi que celle du bas à laquelle la relie un large escalier, immense ; elle passe, à tort ou à raison, pour avoir été la chambre à coucher de Gabrielle d’Estrées et elle est désignée par ce nom : le Sénat ; c’est là que dorment les purotins ; moyennant un cinquième de vin de quinze centimes, ils peuvent ronfler jusqu’à