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la bièvre

Plus loin, il est vrai, elle sort de ses geôles, et, divisée en deux bras, suit le chemin de la Fontaine-à-Mulard et de la rue du Pot-au-Lait. Dans ces parages écartés, elle fut autrefois charmante. Entre ces deux ruisseaux, s’étendaient une prairie, plantée d’arbres, et des petits étangs granulés de mouches vertes par des lentilles d’eau ; des fleurs étoilaient l’herbe ; des buissons de mûres enchevêtraient leurs tiges munies d’épines courbes et roses comme des griffes ; le paysage était presque désert ; çà et là, quelques enfants pêchaient des grenouilles ; un cheval blanc paissait ; près d’une chèvre, une femme alignait des cordes pour sécher du linge ; la Bièvre bouillonnait, joyeuse, sur des pierres, tandis qu’à perte de vue dans le ciel s’étageaient les charpentes et les terrasses des mégissiers, au-dessus desquelles se superposaient, séparés par des tuyaux d’usine, les emphatiques et lourds dômes du Panthéon et du Val-de-Grâce.

La rue de Tolbiac, bâtie sur remblai, a rompu l’horizon, que ferme maintenant une ligne de bâtisses neuves ; les peupliers sont coupés, les saules détruits, les étangs desséchés, la prairie morte. Le travail de la Bièvre, désormais accaparée par les tanneurs, bruit, sans haleine et sans trêve.

Pour la suivre dans ses détours, il faut remonter la rue du Moulin-des-Prés et s’engager dans la rue de