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le quartier saint-séverin

tent tant, rue Lagrange ! Avant que ce quartier ait fait place à des avenues bordées d’opulentes casernes et de maigres squares, il est bon de dégager son caractère et de le résumer en quelques lignes.

On a pu le voir, les cabarets et les hôtels foisonnent dans chacune de ces rues ; c’est même l’industrie spéciale de ces lieux ; personne, ici, n’a l’air d’être dans ses meubles et de coucher dans son lit ; personne ne paraît manger de la cuisine préparée chez soi ; tous logent, pas même à la semaine, mais à la nuit ; tous bâfrent des rogatons achetés chez les regrattiers ou se repaissent dans les bibines de la rue de Bièvre ; la misère de ces gens mériterait la pitié, si, à toute heure du jour et de la nuit, les mastroquets et les bars n’étaient pleins. La vérité est que tout l’argent mendié ou volé se dépense là. La clientèle de ces rues, les larrons et les mendiants, les voleuses et les filles, n’ont qu’un idéal, paresser et boire ; travailler, c’est la dernière des hontes, la chose à ne pas faire, dans ce monde-là. Il suffit pour s’en convaincre d’entendre chez Trolliet le ton goguenard d’une Mémêche vous répondant, lorsqu’on lui demande pourquoi un tel n’est pas là : « Il a trouvé de l’ouvrage », désignant, par la blague de cet euphémisme, le travail obligé d’une prison.

Les justiciards qui pérorent sur la criminalité rêvent