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la bièvre

vées de roues. Ces boîtes, coiffées de tôle, sont précédées, au dehors, d’escaliers vermoulus, chancis, mous, dont les marches plient et suintent l’eau gardée, dès qu’on les touche. Aux lucarnes, dont les cadres inégaux culbutent, des chaussettes inouïes, qui par leur pointure étonnent, se balancent sous la neige animale des peaux, des chaussettes en gros fil, lie de vin, émaillées de reprises de couleur, épaisses comme des souches.

La Bièvre a désormais disparu, car au bout de la rue des Cordelières le Paris contemporain commence. Écrouée dans d’interminables geôles, elle apparaîtra maintenant, à peine, dans des préaux, au plein air ; l’ancienne campagnarde étouffe dans des tunnels, sortant, juste pour respirer, de terre, au milieu des pâtés de maisons qui l’écrasent. Et il y a alors contre elle une recrudescence d’âpreté au gain, un abus de rage ; dans l’espace compris entre la rue Censier et le boulevard Saint-Marcel, l’on opprime encore l’agonie de ses eaux ; dès que la malheureuse paraît, les Yankees de la halle aux cuirs se livrent à la chasse au nègre, la traquent et l’exterminent, épuisant ses dernières forces, étouffant ses derniers râles, jusqu’à ce que, prise de pitié, la Ville intervienne et réclame la morte qu’elle ensevelit, sous le boulevard de l’Hôpital, dans la clandestine basilique d’un colossal égout.

Et pourtant, combien était différente de cette