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de bataille, si courageux quand il accompagne et défend Jeanne d’Arc, tremble devant le démon, s’apeure lorsqu’il songe à la vie éternelle, lorsqu’il pense au Christ. Et il en est de même de ses complices ; pour être assuré qu’ils ne révéleront pas les confondantes turpitudes que le château cèle, il leur fait jurer sur les saints Évangiles le secret, certain qu’aucun d’eux n’enfreindra le serment, car au Moyen Âge, le plus impavide des bandits n’oserait assumer l’irrémissible méfait de tromper Dieu !

La première victime de Gilles fut un tout petit garçon dont le nom est ignoré. Il l’égorgea, lui trancha les poings, détacha le cœur, arracha les yeux, et il le porta dans la chambre de Prélati. Tous deux les offrirent dans des objurgations passionnées, au diable, qui se tut. Gilles, exaspéré s’enfuit. Prélati roula ces pauvres restes dans un linge et, tremblant, s’en fut, dans la nuit, les inhumer en terre sainte, auprès d’une chapelle dédiée à saint Vincent.

Le sang de cet enfant que Gilles avait conservé pour écrire ses formules d’évocation et ses grimoires, s’épandit en d’horribles semailles qui levèrent, et bientôt, de Rais put engranger la plus exorbitante moisson de crimes que l’on connaisse.

De 1432 à 1440, c’est-à-dire pendant ces huit années comprises entre la retraite du Maréchal et sa mort, les habitants de l’Anjou, du Poitou, de la Bretagne, errent en sanglotant sur les routes. Tous les enfants disparaissent ; les pâtres sont enlevés dans les champs ; les fillettes qui sortent de l’école, les garçons qui vont jouer à la pelote le long des ruelles ou s’ébattent au bord des bois ne reviennent plus.

Le peuple effaré se raconte d’abord que de méchantes fées, que des génies malfaisants, dispersent sa géniture, mais, peu à peu d’affreux soupçons lui viennent. Dès que le Maréchal se déplace, dès qu’il va de sa forteresse de Tiffauges au château de Champtocé, et de là au castel de la Suze, ou à Nantes, il laisse derrière ses pas des traînées de larmes. Il traverse une campagne et, le lendemain, des enfants manquent. En frémissant, le paysan constate aussi que partout où se sont montrés Prélati, Roger de Bricqueville, Gilles de Sillé, tous les intimes du Maréchal, les petits garçons ont disparu. Enfin avec horreur, il remarque qu’une vieille femme, Perrine Martin, erre, vêtue de gris, le visage couvert comme celui de Gilles de Sillé d’une étamine noire ; elle accoste les enfants, et son parler est si séduisant, sa figure, dès qu’elle lève son voile, est si habile, que tous la suivent jusqu’aux lisières du bois, où des hommes les emportent bâillonnés dans des sacs. Et le peuple épouvanté appelle cette pourvoyeuse de chair, cette ogresse, la Meffraye, du nom d’un oiseau de proie.