Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/156

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changement à vue, par un truc de décor, un paysage minéral atroce fuyait au loin, un paysage blafard, désert, raviné, mort ; une lumière éclairait ce site désolé, une lumière tranquille, blanche, rappelant les lueurs du phosphore dissous dans l’huile.

Sur le sol quelque chose remua qui devint une femme très pâle, nue, les jambes moulées dans des bas de soie verts.

Il la contempla curieusement ; semblables à des crins crespelés par des fers trop chauds, ses cheveux frisaient, en se cassant du bout ; des urnes de Népenthès pendaient à ses oreilles ; des tons de veau cuit brillaient dans ses narines entr’ouvertes. Les yeux pâmés, elle l’appela tout bas.

Il n’eut pas le temps de répondre, car déjà la femme changeait ; des couleurs flamboyantes passaient dans ses prunelles ; ses lèvres se teignaient du rouge furieux des Anthurium ; les boutons de ses seins éclataient, vernis tels que deux gousses de piment rouge.

Une soudaine intuition lui vint : c’est la Fleur, se dit-il ; et la manie raisonnante persista dans le cauchemar, dériva de même que pendant la journée de la végétation sur le Virus.

Alors il observa l’effrayante irritation des seins et de la bouche, découvrit sur la peau du corps des macules de bistre et de cuivre, recula, égaré ; mais l’œil de la femme le fascinait et il avançait lentement, essayant de s’enfoncer les talons dans la terre pour ne pas marcher,