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Page:Huysmans - Croquis parisiens.djvu/117

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Il me parut que j’avais déjà, quelque part, contemplé ce malheureux, agonisant sur une couche. En vain, j’errais dans les brumes de ma mémoire quand soudain, au travers d’une éclaircie, mes souvenirs s’élucidèrent. C’était, rue Bonaparte, à la vitrine d’un marchand d’estampes ; là, dans un fouillis d’images, une vieille et naïve gravure m’avait surpris. Elle représentait un homme étendu sur un matelas, ligoté par des sangles, roulant dans un visage ravagé des yeux morts. Près de lui, des soldats à perruques, coiffés de tricornes, vêtus de justaucorps galonnés et de culottes bouclées aux genoux, se tenaient, attentifs, l’épée au poing, tandis que derrière eux, deux juges à petits rabbats d’abbé, regardaient, une plume en main, d’un air recueilli, la voûte du cachot où se passait la scène.

Et du coup, je me rappelai le titre écrit au crayon sous l’antique estampe : Damiens. — Et mes pensées remontèrent, au travers des âges, jusqu’à cet homme qui avait si puérilement tenté d’exterminer avec une pointe de canif un Roi. J’assistai au solennel interrogatoire rappelé par la gravure, puis je me figurai le coupable écartelé comme il le fut, par quatre chevaux, sur la place de Grève. — Et je tremblai, car son image que j’apercevais, au-dessus de ma tête, était la mienne réfléchie par le miroir encastré dans le ciel du lit sur lequel