Page:Huysmans - Croquis parisiens.djvu/179

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et voilà que, pour comble, le dîner est exécrable et que le vin sentait l’encre.

Les pieds gelés, comprimés dans des bottines racornies par l’ondée et par les flaques, le crâne chauffé à blanc par le bec de gaz qui sifflait au-dessus de sa tête, M. Folantin avait à peine mangé et maintenant la guigne ne le lâchait point ; son feu hésitait, sa lampe charbonnait, son tabac était humide et s’éteignait, mouillant le papier à cigarette de jus jaune.

Un grand découragement le poigna ; le vide de sa vie murée lui apparut, et, tout en tisonnant le coke avec son poker, M. Folantin, penché en avant sur son fauteuil, le front sur le rebord de la cheminée, se mit à parcourir le chemin de croix de ses quarante ans, s’arrêtant, désespéré, à chaque station.

Son enfance n’avait pas été des plus prospères ; de père en fils, les Folantin étaient sans le sou ; les annales de la famille signalaient bien, en remontant à des dates éloignées, un Gaspard Folantin qui avait gagné dans le commerce des cuirs presque un million ; mais la chronique ajoutait qu’après avoir dévoré sa fortune, il était resté insolvable ; le souvenir de cet homme était vivace chez ses descendants qui le maudissaient, le citaient à leurs fils comme un exemple à ne pas suivre et les menaçaient continuellement de mourir comme lui sur la