Page:Huysmans - Croquis parisiens.djvu/66

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maintenant avec sa façade de chairs soigneusement réparée au bichlorure d’hydrargyre et aux plâtres, puis la débâcle vient brutalement un soir. Polyte qui lui servait en cachette un amour salé de coups de bottes s’est imprudemment attardé et le sérieux et bienfaisant caissier quitte la place et retourne dans sa famille où il reproche quotidiennement à ses fils le désordre de leurs mœurs.

Les hauts et les bas se succèdent maintenant ; une garnison de tout âge a logé chez elle ; aux aguets devant la porte d’un café, son œil, reculé par du bistre, tend des gluaux, mais le sourire impudent et douloureux de sa bouche épouvante le vulgaire chaland qui ne demande le bonheur qu’aux baisers réguliers et aux grimaces prévues.

Sa beauté mystérieuse et sinistre passe donc incomprise et, par le chaud, par le froid, pendant des soirées entières, pendant des nuits, elle demeure à l’affût, braconnant, tirant sur le gibier qui détale, abattant des pochards, dans ses nuits de chance.

Mais la plupart du temps elle rentre bredouille, le ventre vide, l’estomac trompé par l’alcool, la pituite faisant rage, et elle se couche, accablée, seule, pensant à l’horrible goujat qui l’a perdue, à ses impatients rendez-vous dans ce cabaret de la place Pinel dont l’ignoble fronton se pavoise de ces mots : « Buvons un rigolboche ».

Si lointaine et si effacée que puisse être cette