Page:Huysmans - Croquis parisiens.djvu/67

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époque, l’ambulante la revit dans ces lucides insomnies que procurent les soûleries incomplètes et les grandes fatigues. Vidée et rendue, elle tressaille encore au souvenir des câlineries et des régalades dont elle abreuvait cet homme. Des détails d’un émouvant et stupide intérêt lui reviennent ; elle revoit ses cheveux effilés sur l’oreille comme des cornes de bœufs, ses chemises de couleur à pois, ses cravates qu’elle lui nouait elle-même, ses bécots et ses enjôleries quand il voulait de l’argent pour offrir à ses autres conquêtes un verre de rigolboche, ce jus rose vanillé au foin, ce marasquin des chiffortonnes !

Et le matin emplit la chambre, et l’après-midi se passe ; il faut se lever pourtant et s’atteler de nouveau à la dure vie qu’on lui a faite. Semblable à la veille, le jour s’écoule, pareil au lendemain qui va suivre. Les acheteurs diminuent encore ou ils lui filoutent lâchement le prix de ses peines.

Grugée de nuit, grugée de jour, rongée par une inextinguible soif, elle ne peut qu’étancher celle de Polyte qui lui délivre en récompense d’extraordinaires roulées de coups de bottes.

Puis l’impérieuse débine s’accentue, car ces amours et ces raclées, ces famines et ces noces creusent les yeux qui capotent maintenant dans la face meurtrie. Sous peine de mourir complètement de faim, il faut désormais combler les gouffres des épaules ou contenir